venize pas, ce serait un grand malheur pour tout le monde.
Il la regardait, trop grande, poussée trop vite, avec ses cheveux incolores, le visage déjà effacé, résigné, comme celui de sa mère, grelottant dans sa mince petite robe et sous le fichu qui lui enveloppait la tête. Une commisération pitoyable lui vint, il lui dit de marcher devant ; et la fillette se glissa dans le corridor, descendit l’escalier, avec la souplesse de furet, les précautions malicieuses, qu’elle avait dû mettre à s’introduire. Puis, à la porte de l’usine il aperçut une autre gamine, de huit ans au plus, celle-ci, qui attendait, et qui marcha devant eux, après un coup d’œil d’intelligence.
— Qui est-ce encore, celle-ci ?
— C’est ma petite sœur Irma.
— Qu’est-ce qu’elle faisait à la porte ? Pourquoi n’êtes-vous pas montées ensemble ?
— Tiens ! elle guettait voir si l’on ne nous mouchardait pas. Nous connaissons bien l’usine, maman sait que nous ne sommes pas des bêtes.
Et, le quittant, courant rejoindre Irma, qui, elle, était une jolie fille, blonde comme Norine, mais en plus grêle, l’air fin et maladif :
— C’est pas la peine qu’on nous voie marcher ensemble… Vous n’avez qu’à nous suivre, monsieur.
Alors, il les suivit. Elles s’en allaient, à vingt mètres, d’un pas nonchalant de vauriennes qui font l’école buissonnière. Ce n’était pourtant pas un jour à s’attarder dehors, car le soleil s’était caché, un vent glacial soufflait, enfilait les longues rues, droites et désertes, en soulevant la poussière de gelée dont le pavé était blanc. Par ces grands froids d’hiver, ce quartier de travail tombait à une morne tristesse. Aux deux bords des larges voies, le long des murs gris interminables, on n’entendait plus sortir des usines closes que les souffles