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Et le pauvre homme, si tendre, de cœur si faible et de volonté si médiocre, eut un geste éperdu, comme pour dire son égarement, sous l’entêtement d’ambition, sous le besoin exaspéré de fortune, dont sa femme le torturait.

« Bah ! tout s’arrange, dit obligeamment Mathieu. Vous l’adorerez, ce petit. »

Morange se récria, l’air terrifié.

« Non, non ! ne dites pas ça ! Ah ! bien ! si Valérie vous entendait, elle croirait que vous allez lui porter malheur… Elle ne veut pas admettre qu’il vienne. »

Puis, baissant la voix, comme si quelqu’un eût pu l’entendre, il ajouta avec un frisson de mystère :

« Vous savez que je ne suis pas sans crainte. Elle est capable d’un malheur, dans son égarement. »

Mais il s’arrêta, craignant d’avoir trop parlé. Depuis le matin, après les discussions et les larmes de la nuit entière, passée à se débattre dans l’alcôve obscure, cette chose affreuse le hantait. N’était-il pas déjà décidé lui-même ?

« Que voulez-vous dire ? demanda Mathieu.

— Rien, des folies de femme… Enfin, mon cher ami, vous voyez devant vous l’homme le plus malheureux de la terre. Les gens qui cassent des cailloux sur les chemins me font envie. »

Deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il y eut un silence pénible. Il se calma, il reprit, en revenant à Norine, sans la nommer :

« Et cette fille, je vous demande un peu ! en voilà encore une qu’y avait bien besoin d’un enfant ! On dirait une malédiction c’est toujours celles qui n’en veulent pas qui en font. Maintenant, elle est à la rue : pas d’argent, pas de pain, pas de travail, personne pour l’aider ; et un mioche qui pousse… Tout à l’heure, j’en aurais pleuré de la voir, avec son pauvre ventre. Et le patron qui la flanque dehors. Il n’y a vraiment pas de justice. »