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son fauteuil, d’un air désespéré, gagné presque par les larmes.

« Qu’avez-vous donc, mon ami ? »

Dans l’atelier des femmes, pendant la scène atroce, Morange n’avait pas prononcé un mot ; mais sa pâleur, ses mains tremblantes disaient la part d’émotion qu’il y prenait.

« Ah ! mon cher, murmura-t-il enfin, vous n’avez pas l’idée de l’effet que me produisent ces histoires de grossesse. J’en ai les bras et les jambes cassés. »

Alors, Mathieu se souvint de la confidence désolée que Valérie était venue faire à Marianne, et que celle-ci, le soir même, lui avait répétée. Le pauvre homme le navrait, à ce point anéanti sous la menace d’un second enfant, et, malgré son étonnement qu’on pût tant souffrir d’une si joyeuse et vivante espérance, il voulut le réconforter.

« Oui, je sais, ma femme m’a dit la nouvelle que lui a donne la vôtre. Vous n’avez plus de doute, la chose est donc certaine ?

— Oh ! mon cher, tout à fait certaine. C’est notre ruine, comment pourrais-je maintenant quitter l’usine et tenter la fortune au Crédit national, en y acceptant d’abord une situation moindre ? Nous voilà pour toujours dans la crotte, comme le dit ma pauvre femme… Elle pleure du matin au soir. Ce matin encore, je l’ai laissée dans les larmes, et ça me retourne le cœur. Moi, j’en aurais déjà pris mon parti, mais elle m’a rendu ambitieux pour elle, en mettant si haut sa confiance en moi, que je souffre de ne pouvoir lui donner le luxe et les plaisirs qu’elle désire tant… Puis, il y a notre petite Reine. Comment la doter, comment la marier, cette chère enfant, si intelligente, si gentille, digne d’un prince ?… Voyez-vous, je n’en dors plus la nuit, ma femme est toujours à me répéter des choses qui me roulent dans le cerveau, à ce point que je ne sais plus si j’existe. »