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laisser mettre dans un pareil cas. Elles voulaient bien rire, mais des enfants, ah ! non !

« Qu’elles se battent ! ça les regarde. Sûrement qu’elle est grosse, ça se voyait assez, et c’est tant pis pour elle ! »

Les trois hommes se précipitèrent, écartèrent les curieuses, afin de séparer les combattantes. Mais la ruée devenait telle, si chaude, si passionnée, que la présence du patron lui-même n’arrêtait rien. On ne le voyait pas, le tumulte grandissait. Et, pour le dominer, il dut clamer de sa voix de basse-taille :

« Tonnerre ! qu’est-ce que c’est que ça ? Qui est-ce qui m’a fichu de pareilles bougresses ?… Voulez-vous bien finir votre sabbat, ou je vous flanque toutes à la porte ! »

Déjà, Mathieu et Morange s’étaient jetés sur les deux sœurs, en s’efforçant d’arrêter les coups. Mais ce fut la voix tonnante, la menace olympienne de Beauchêne, qui ramena brusquement le calme. Effrayées, domptées, les ouvrières reculèrent, se rassirent sournoisement devant leurs établis ; tandis que Norine et Euphrasie se relevaient haletantes, les cheveux arrachés, les vêtements déchirés, aveuglées encore d’une telle rage, qu’elles reconnaissaient à peine les personnes présentes.

« Vous êtes donc folles ! continuait Beauchêne, avec l’ampleur magistrale de son autorité. A-t-on jamais vu deux sœurs se battre ainsi, comme des portefaix ! Et vous choisissez l’atelier, c’est aux heures du travail que vous vous prenez aux cheveux !… Voyons qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qu’il vous arrive ? »

À ce moment, le père Moineaud, que quelque bonne âme avait dû descendre chercher, en lui contant que ses deux filles se dévoraient, là-haut, entra de son air lent et désintéressé d’ouvrier vieillissant, que vingt-cinq années de dur travail engourdissaient déjà. Mais personne