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n’avait rien pris du tout. Aussi l’autre s’enragea-t-elle, élevant la voix.

— Hier, tu m’avais pris mon huile. Tu me prends tout, tu es une voleuse, oui ! une voleuse, tu entends !

Des voisines s’étaient mises à ricaner, habituées aux querelles des deux sœurs, qui étaient un divertissement pour toutes. Et l’aînée, alors, perdit patience, s’emporta, elle aussi.

— Ah ! tu m’embêtes à la fin ! Ce n’est pas ma faute si, d’être maigre ça te rend insupportable… Qu’est-ce que tu veux que j’en fiche de ton papier ?

Frappée au cœur, Euphrasie devint livide. Sa maigreur, sa laideur chétive, lorsqu’elle se comparait à son aînée, si fraîche et si grasse, était la plaie vive dont elle souffrait. Elle lâcha tout, hors d’elle.

— Dame ! mon papier, si c’est pour t’en frotter le ventre, ca l’empêchera peut-être de grossir davantage.

Une huée, mêlée à des rires, s’éleva de l’atelier entier. À son tour, Norine était devenue très pâle. C’était donc fait, tout le monde allait savoir sa grossesse ! Et c’était à sa terrible cadette qu’elle devait cet irréparable malheur, devant lequel elle frissonnait depuis des semaines ! Elle perdit tout sang-froid, elle lui allongea une gifle. Euphrasie, aussitôt, sauta sur elle, lui laboura le visage à coups de griffes, comme une chatte en fureur. Et il y eut une bataille féroce, les deux sœurs tombées par terre, se dévorant, hurlant, au milieu d’un tel vacarme, que Beauchêne, Mathieu et Morange, dont les bureaux étaient voisins, accoururent.

Des ouvrières criaient :

— Si c’est vrai, tout de même, qu’elle est grosse, l’autre va le lui crever, son enfant.

Mais le plus grand nombre s’amusaient trop pour intervenir, se déclarant contre la malheureuse, par une lâcheté de femmes, qui étaient fières de leur adresse à ne pas se