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main après une courte hésitation, en voyant la table dressée là, et les quatre convives déjeunant encore, elle lui dit de son air languissant :

— Vous n’êtes donc pas mort, mon ami ? Voici plus de quinze jours qu’on ne vous a vu… Non, non, ne vous excusez pas. C’est bien naturel, tout le monde m’abandonne.

Séguin eut de nouveau son ricanement, en serrant la main du jeune homme, car il prenait sa part du reproche. La vérité était que Santerre, lorsqu’il avait vu sa campagne de séduction interrompue par cette grossesse intempestive, avait jugé bon d’espacer ses visites. Comme le mari sans doute, il trouvait Valentine peu désirable, d’une compagnie gênante. Il s’était donc résigné au sage parti d’attendre l’événement, remettant l’attaque décisive à plus tard. Mais, les rares fois où il venait, il ne s’en montrait que plus caressant et plus doux, sachant quelle reconnaissance elle lui en gardait, toute meurtrie des brutalités de Séguin.

— Oh ! chère madame, moi qui ne viens pas par discrétion, de peur de vous déranger ! Puis, vous savez bien que j’ai, en ce moment une pièce en répétition et que mes heures sont prises.

Tout de suite, d’ailleurs, il la noya de compliments, d’une voix d’admiration béate.

— Vous êtes délicieuse, dans cette blouse qui enlaidirait une autre femme. Oui, oui, délicieuse, je maintiens le mot !

Ce fut une joie pour Séguin, qui voyait là une moquerie. Naturellement, dans sa jalousie atroce, jamais il n’avait songé que Santerre pouvait être ou devenir l’amant de sa femme, qu’il lui jetait presque entre les bras, en les forçant à une camaraderie perverse, dont il aggravait lui-même l’extrême licence de paroles. Lorsque, cédant à ses coups de démence, il lui criait que l’enfant n’était pas de