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Alexandre venait de lui succéder et d’épouser Constance Meunier, la fille d’un très riche fabricant de papiers peints du Marais, lorsque Mathieu entra dans la maison, sous les ordres de ce patron si jeune, qui n’avait guère que cinq ans de plus que lui. Et ce fut là qu’il connut Marianne, alors âgée de seize ans, une cousine pauvre d’Alexandre, et qu’il l’épousa l’année suivante.

Dès sa douzième année, Marianne était tombée à la charge de son oncle, Léon Beauchêne. Un frère de celui-ci, Félix Beauchêne, après des échecs de toutes sortes, esprit brouillon, hanté d’un besoin d’aventures, s’en était allé, avec sa femme et sa fille, tenter la fortune en Algérie ; et, cette fois, la ferme créée par lui, là-bas, prospérait, lorsque, dans un brusque retour de brigandage, le père et la mère furent massacrés, les bâtiments détruits, de sorte que la fillette, sauvée par miracle, n’eut d’autre refuge que la maison de son oncle, qui se montra très bon pour elle, pendant les deux années qu’il vécut encore. Mais il y avait là Alexandre, de camaraderie un peu lourde, et surtout une sœur cadette de celui-ci, Sérafine, une grande fille détraquée et mauvaise, qui heureusement quitta la maison presque tout de suite, dès dix-huit ans, dans un scandale effroyable, une fuite avec un certain baron de Lowicz, un baron authentique, escroc et faussaire, auquel il fallut la marier, en lui donnant trois cent mille francs. Puis, lorsque, son père mort, Alexandre à son tour dut songer à se marier, forcé d’épouser pour son argent Constance, qui lui apportait un demi-million de dot, Marianne se trouva plus étrangère, plus isolée encore, près de sa nouvelle cousine, maigre, sèche, despotique, maîtresse absolue dans le ménage. Mathieu était là, et quelques mois suffirent : un bel amour, sain et fort, naquit, grandit entre les deux jeunes gens, non pas le coup de foudre qui jette les amants aux bras l’un de l’autre, mais l’estime, la