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qui l’adorait, se serait plutôt coupé une jambe, que de la contrarier là-dessus. Elle, toujours en éveil, prenait ses précautions. C’était donc inexplicable, jamais on n’aurait cru qu’une telle chose pouvait arriver, dans un ménage qui s’aimait comme eux et qui s’entendait à ce point.

— Puisque le mal est fait, finit par dire Marianne conciliante, mon Dieu ! vous vous arrangerez. Il sera quand même le bienvenu, le pauvre petit !

— Mais c’est impossible, c’est impossible ! cria Valérie en s’agitant, reprise de désespoir et de colère. Nous ne pouvons pas rester ainsi dans la médiocrité toute notre existence… Votre mari a dû vous dire la confidence que le mien lui a faite. Vous savez donc qu’à la suite d’une offre aimable de Michaud, un de ses anciens commis qui occupe aujourd’hui une grosse situation au Crédit national, mon mari avait résolu de quitter l’usine Beauchêne, où il n’a pas d’avenir, pour entrer lui-même à ce Crédit, en vue d’une haute situation prochaine. Seulement, il fallait qu’il acceptât d’abord une modeste place de trois mille six cents francs, en abandonnant les cinq mille francs qu’il gagne à l’usine. Et comment voulez-vous que nous osions désormais courir ce risque, nous contenter de trois cents francs par mois, avec une grossesse en perspective, un accouchement, un nouvel enfant à élever ? … Tous nos calculs étaient faits, ce malheureux enfant les renverse, nous rejette dans la crotte pour toujours.

— Que de raisonnements ! dit Marianne de son air tranquille, avec un sourire.

— Mais ils sont justes, ma chère ! … Une occasion se présente, on la manque, c’est à jamais fini. Si mon mari ne quitte pas l’usine, le jour où la fortune s’offre ailleurs, il y est désormais cloué, tous nos rêves sont à l’eau, et la dot de Reine, et notre existence heureuse, et les ambitions de notre vie entière… Comment ! vous si intelligente, vous ne comprenez pas ça ?