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Beauchêne ? Il en sentit davantage le côté malpropre et honteux. Puis, ce fut, ainsi qu’une nausée, le souvenir de la saleté personnelle qu’il avait failli commettre, en allant passer la nuit chez Sérafine. Il y serait, à cette heure. Cette pensée, dans ce lit, avec cette chère femme qui s’endormait sur son épaule, lui devint insupportable comme un remords. N’était-ce pas ce désir furieux d’une heure, pareil à une crise morbide, qui l’avait sali, qui laissait son intelligence obscurcie, sa chair détraquée ? Il fallait bien qu’il fût travaillé d’un poison, pour ne plus se reconnaître, pour avoir ainsi des sentiments et des volontés qu’il n’avait jamais eus. Il commençait à être stupéfait lui-même des discours qu’il venait de tenir à sa femme ; car, certainement, la veille, la seule idée d’avoir à dire ces choses l’aurait désespéré et paralysé.

Marianne ne s’endormait pas, avec sa tendre confiance habituelle. Elle avait beau fermer les yeux, rester inerte, Mathieu la devinait fâchée, malheureuse, ne comprenant toujours pas qu’il pût l’aimer si peu. Et, déjà, le souci de la richesse s’en était allé de lui, il devait faire un effort pour retrouver les raisonnements d’un Beauchêne ou d’un Morange, ce besoin orgueilleux de monter d’une classe, d’amasser la fortune sur une seule tête, dans la haine et la terreur du partage. Mais les théories entendues chez les Séguin le hantaient encore, car il ne pouvait nier les faits : les plus intelligents étaient sûrement les moins féconds, les enfants ne poussaient jamais en plus grand nombre que sur le fumier de la misère. Seulement, ce n’était là qu’un fait social, dépendant surtout de l’état de la société où il se produisait. La misère venait de l’injustice des hommes, et non de l’avarice de la terre, qui aurait nourri des nations décuplées, le jour où serait réglée la question du travail nécessaire, distribué entre tous, pour la santé et pour la joie. S’il restait vrai que dix mille heureux étaient pré-