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déshabiller comme elle, il s’était assis devant la table, sous la lampe. Et il vida ses poches, sortit les quinze louis, les trois cents francs de son mois. Quand il les eut comptés, il dit, d’un air d’amère plaisanterie :

— Il n’y en a bien que quinze, ils n’ont pas fait de petits en route… Tiens ! les voilà. Tu payeras demain nos dettes.

Ce mot lui suggéra une idée. Il prit son crayon, aligna des chiffres sur une page blanche de son carnet.

— Nous disons douze francs d’œufs et de lait aux Lepailleur… Combien dois-tu au boucher ?

Assise, devant lui, elle ôtait ses bas.

— Au boucher, mets vingt francs.

— Et à l’épicier, au boulanger ?

— Je ne sais pas au juste, mets une trentaine de francs. C’est tout d’ailleurs.

Alors, il additionna.

— Ça fait soixante-deux francs. Qui de trois cents ôte soixante-deux francs, reste deux cent trente-huit francs, Au plus huit francs par jour… Eh bien ! nous voilà riches, nous allons passer un joli mois, avec quatre enfants à nourrir, surtout si notre petite Rose tombe malade !

En chemise maintenant, et debout, ses adorables pieds nus sur le parquet, ses bras nus ouverts dans un geste de charme et d’appel, elle le regardait, d’une beauté victorieuse de femme féconde, au corps superbe et sain. Et elle s’étonnait de l’entendre parler ainsi, elle eut un rire de joyeuse confiance.

— Qu’as-tu donc ce soir, mon ami ? Voilà que tu fais des calculs désespérés, toi qui attends toujours le lendemain comme un prodige, avec la certitude qu’il suffit d’aimer la vie, si l’on veut la vivre heureuse. Quant à moi, tu le sais bien, je suis sûrement la femme la plus riche, la plus heureuse du monde… Viens te coucher, la fortune attend que tu souffles la lampe, pour entrer.