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CELLE QUI M’AIME

et femmes paraissaient en général fort satisfaits de l’apparition. Le Magicien n’aurait certes jamais eu le mauvais cœur de causer le moindre déplaisir à de braves gens qui lui donnaient deux sous.

Je m’approchai, et j’appliquai, sans trop d’émotion, mon œil droit contre la vitre. J’aperçus, entre deux grands rideaux rouges, une femme accoudée au dossier d’un fauteuil. Elle était vivement éclairée par des quinquets que je ne pouvais voir, et se détachait sur une toile peinte, tendue au fond ; cette toile, coupée par endroits, avait dû représenter jadis un galant bocage d’arbres bleus.

Celle qui m’aime portait, en vision bien née, une longue robe blanche, à peine serrée à la taille, et traînant sur le plancher en façon de nuage. Elle avait au front un large voile également blanc, retenu par une couronne de fleurs d’aubépine. Le cher ange était, ainsi vêtu, toute blancheur, toute innocence.

Elle s’appuyait coquettement, tournant les yeux vers moi, de grands yeux bleus caressants. Elle me parut ravissante sous le voile : tresses blondes perdues dans la mousseline, front candide de vierge, lèvres délicates, fossettes qui sont nids à baisers. Au premier regard, je la pris pour une sainte ; au second, je lui trouvai un air bonne fille, point bégueule du tout et fort accommodant.

Elle porta trois doigts à ses lèvres et m’envoya un baiser, avec une révérence qui ne se sentait aucunement du royaume des ombres. Voyant qu’elle ne se