Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
CELLE QUI M’AIME

Celle qui m’aime est-elle l’enfant blonde s’agenouillant et priant au côté de sa mère ? la vierge folle m’appelant le soir dans l’ombre des ruelles ? Est-elle la brune paysanne qui me regarde au passage et qui emporte mon souvenir au milieu des blés et des vignes mûres ? la pauvresse qui me remercie de mon aumône ? la femme d’un autre, amant ou mari, que j’ai suivie un jour et que je n’ai plus revue ?

Celle qui m’aime est-elle fille d’Europe, blanche comme l’aube ? fille d’Asie, au teint jaune et doré comme un coucher de soleil ? ou fille du désert, noire comme une nuit d’orage ?

Celle qui m’aime est-elle séparée de moi par une mince cloison ? est-elle au delà des mers ? est-elle au delà des étoiles ?

Celle qui m’aime est-elle encore à naître ? est-elle morte il y a cent ans ?



II


Hier, je l’ai cherchée sur un champ de foire. Il y avait fête au faubourg, et le peuple endimanché montait bruyamment par les rues.

On venait d’allumer les lampions. L’avenue, de distance en distance, était ornée de poteaux jaunes et bleus, garnis de petits pots de couleur où brûlaient des mèches fumeuses que le vent effarait. Çà et là,