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LE CARNET DE DANSE

dis que le billet signé d’un seul nom se cache sous le corsage, lui, la lettre aux mille signatures, se montre hardiment. On le rencontre partout au grand jour, dans les salons et dans la chambre de l’enfant. N’est-il pas le petit livre le moins dangereux qu’on connaisse ?

Il trompe jusqu’à sa maîtresse elle-même. Quel péril peut offrir un objet d’un usage si commun et approuvé par les grands-parents ? Elle le feuillette sans crainte. C’est ici qu’on peut accuser le carnet de danse de manifeste hypocrisie. Dans le silence, que penses-tu qu’il murmure à l’oreille de l’enfant ? De simples noms ? Oh ! que non pas ! mais bel et bien de longues conversations amoureuses. Il n’a plus cet air de nécessité et de désintéressement. Il babille, il caresse ; il brûle et balbutie de tendres paroles. La jeune fille se sent oppressée ; tremblante, elle continue sa lecture. Et soudain la fête renaît pour elle, les lustres brillent, l’orchestre chante amoureusement ; soudain chaque nom se personnifie, et le bal, dont elle était la reine, recommence avec ses ovations et ses paroles caressantes et flatteuses.

Ah ! livre malin, quel défilé de jeunes cavaliers ! Celui-là, tout en pressant mollement sa taille, vantait ses yeux bleus ; celui-ci, ému et tremblant, ne pouvait que lui sourire ; cet autre parlait, parlait sans cesse et débitait ces mille galanteries qui, malgré leur vide de sens, en disent plus que de longs discours.

Et, lorsque la vierge s’est oubliée une fois avec lui,