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ET DU PETIT MÉDÉRIC

mur. Il se frottait les mains l’une contre l’autre et souriait, fermant les yeux de faiblesse.

— J’ai bien faim, dit-il à voix basse.

— Vous n’aimez donc ni les pêches, ni les poires, ni les pommes ? demanda Médéric.

— J’aime tout, mais je n’ai rien.

— Eh ! mon ami, êtes-vous aveugle ? Allongez la main. Il y a là, sur votre nez, une pêche magnifique qui vous donnera à boire et à manger, le tout ensemble.

— Cette pêche n’est pas à moi, répondit le pauvre.

Les deux compagnons se regardèrent, stupéfaits de cette réponse, ne sachant s’ils devaient rire ou se fâcher.

— Écoutez, bonhomme, reprit Médéric, nous n’aimons pas qu’on se moque de nous. Si vous avez fait gageure de vous laisser mourir de faim, gagnez tout à votre aise votre pari. Si, au contraire, vous désirez vivre le plus longtemps possible, mangez et digérez au soleil.

— Monsieur, répondit le mendiant, je le vois, vous n’êtes pas de ce pays. Vous sauriez qu’on y meurt parfaitement de faim sans en faire la gageure. Ici, les uns mangent, les autres ne mangent pas. On se trouve dans l’une ou l’autre classe, selon le hasard de la naissance. D’ailleurs, c’est là un état de choses accepté, et il faut que vous veniez de loin pour vous en étonner.