geant aux bêtes privées de la parole, et ne pouvant ainsi nous témoigner leurs besoins ; elle craignait, dans ses premières années, de passer à leur côté, quand elles avaient faim ou soif, et de s’éloigner sans les soulager, leur laissant ainsi la haineuse pensée du mauvais cœur d’une petite fille se refusant à la charité. De là, disait-elle, vient toute la mésintelligence entre les fils de Dieu, depuis l’homme jusqu’au ver ; ils n’entendent point leurs langages et se dédaignent, faute de se comprendre assez pour se secourir en frères.
Bien des fois, en face d’un grand bœuf qui arrêtait, des heures entières, ses yeux mornes sur elle, elle avait cherché avec angoisse ce que pouvait désirer la pauvre créature qui la regardait si tristement. Mais maintenant, pour sa part, elle ne craignait plus de passer pour méchante. La langue de chaque bête lui était connue ; elle devait cette science à l’amitié de ses chers malheureux qui la lui avaient enseignée dans une longue fréquentation. Et quand on lui demandait la façon d’apprendre ces milliers de langages, pour mettre fin à un malentendu qui rend la création mauvaise, elle répondait avec un doux sourire : « Aimez les bêtes, vous les comprendrez. »
Ce n’étaient pas d’ailleurs des raisonnements bien profonds que les siens ; elle jugeait avec le cœur et ne s’embarrassait pas d’idées philosophiques qu’elle ignorait. Sa façon de voir avait ceci d’étrange, en notre siècle d’orgueil, qu’elle ne considérait pas l’homme seul dans l’œuvre de Dieu. Elle aimait la vie sous