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ET DU PETIT MÉDÉRIC

toire : une monarchie libre dans un peuple libre.

Ce seraient de curieuses annales, celles qui conteraient l’histoire des rois du Royaume des Heureux. Certes, les grands exploits et les réformes humanitaires y tiendraient peu de place et offriraient un mince intérêt ; mais les braves gens prendraient plaisir à voir avec quelle naïve simplicité se succédait sur le trône cette race d’excellents hommes qui naissaient rois tout naturellement et qui portaient la couronne, comme on porte au berceau des cheveux blonds ou noirs. La nation, ayant au commencement pris la peine de se donner un maître, entendait bien ne plus s’occuper de ce soin, et comptait avoir voté une fois pour toutes. Elle n’agissait pas précisément ainsi par respect pour l’hérédité, mot dont elle ignorait le sens ; mais cette façon de procéder lui paraissait de beaucoup la plus commode.

Aussi, lors du règne de l’aimable Primevère, aucun généalogiste n’aurait-il pu, en remontant le cours des temps, suivre, dans ses différents membres, cette longue descendance de rois, tous issus du même père. L’héritage royal les avait suivis dans les âges, sans qu’ils aient eu jamais à s’inquiéter si quelque mendiant ne le leur volait pas en route. Maints d’entre eux parurent même ignorer toute leur vie la haute sinécure qu’ils tenaient de leurs aïeux. Pères, mères, fils, filles, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux, nièces s’étaient passé le sceptre de main en main, comme un joyau de famille.