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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

rêter, haletant, charmé des blancs rayons du soleil et des bonnes couleurs de la campagne.

Or, il s’arrêta au pied d’une grosse haie faite de ronces, de ces ronces aux feuilles rudes, aux longs bras épineux, qui produisent à coup sûr les meilleurs fruits que puisse manger un homme d’un goût recherché. Je veux parler de ces belles grappes de mûres sauvages, toutes parfumées du voisinage des lavandes et des romarins. Te souvient-il comme elles sont appétissantes, noires sous les feuilles vertes, et quelle fraîche saveur, moitié sucre, moitié vinaigre, elles ont pour les palais dignes de les apprécier ?

Médéric, ainsi que tous les gens d’humeur libre et de vie vagabonde, était un grand mangeur de mûres. Il en tirait quelque vanité, ayant pour toutes rencontres, dans ses repas le long des haies, trouvé des simples d’esprit, des rêveurs et des amants ; ce qui l’avait amené à conclure que les sots ne savaient faire cas de ces grappes savoureuses, et que c’étaient là festins donnés par les anges du paradis aux bonnes âmes de ce monde. Les sots sont bien trop maladroits pour un tel régal ; ils se trouvent seulement à l’aise devant une table, à couper de grosses bêtes de poires se fondant en eau claire. Belle besogne vraiment, qui ne demande qu’un couteau. Tandis que, pour manger des mûres, il faut une douzaine de rares qualités : la justesse du coup d’œil qui découvre les baies les plus exquises, celles que les rayons et la rosée ont mûries à point ; la science des épines, cette science merveilleuse de fouil-