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LE SANG

Comme l’ange des rêves berçait toujours mon sommeil, voici ce que vit mon esprit dans une forêt où il s’était égaré :

Deux hommes suivaient un étroit sentier perdu sous le feuillage. Le plus jeune marchait en avant ; l’insouciance chantait sur sa lèvre, et son regard avait une caresse pour chaque brin d’herbe. Parfois il se tournait et souriait à son compagnon. Je ne sais à quelle douceur je reconnus que c’était là un sourire de frère.

Les lèvres et les yeux de l’autre homme restaient sombres et muets. Il fixait sur l’adolescent un regard de haine, et, bien que le pas de celui-ci fût nonchalant, le sien paraissait inquiet et précipité. Il semblait poursuivre une victime qui ne fuyait pas.

Je le vis couper le tronc d’un arbre et le façonner grossièrement en massue. Puis, craignant de perdre son compagnon, il revint en courant et en cachant son arme derrière lui. Le jeune homme, qui s’était assis pour l’attendre, se leva à son approche, et, joyeux de le revoir, le baisa au front, comme après une longue absence.

Ils se remirent à marcher. Le jour baissait. Par crainte de s’égarer dans la forêt, l’enfant pressa le pas. L’homme sombre crut qu’il fuyait. Alors il leva le tronc d’arbre.

Son jeune frère se tournait. Une joyeuse parole d’encouragement était sur ses lèvres. Le tronc d’arbre lui écrasa la face, et le sang jaillit.

Le brin d’herbe qui en reçut la première goutte, la