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césure brisée. En dévot fidèle des principes de Vauban, il bouscula fort ce novateur qui lui apportait l’avenir. Son rapport, de neuf grandes pages, est d’ailleurs très consciencieux, très bien fait, et je n’en citerai rien, car il y aurait cruauté à insister, après la terrible expérience de 1870, qui est venue donner si tragiquement raison à mon père. Voici simplement le début de la lettre dont il accompagna son rapport. Il écrivait au ministre : « Vous m’avez adressé, avec votre lettre en date du 29 octobre, un mémoire de M. Zola, ancien officier d’artillerie et actuellement ingénieur civil, qui a été présenté au roi et au président du conseil des ministres, puis renvoyé au ministère. » Et il termine en faisant remarquer qu’il ne s’agit plus de discuter des projets, mais d’exécuter immédiatement « le dispositif formellement arrêté au conseil des ministres et qui n’a été adopté qu’après avoir été longuement débattu par la commission de défense de 1836 ». C’était en effet la raison sans réplique, et la naïveté de mon père, seul et incompris, venant se mettre entre les mains de ce redoutable adversaire me fait sourire.

Nous verrons mon père incorrigible. Il avait écrit deux lettres à M. Thiers, il en avait écrit une autre au roi, et il s’était même avisé de réunir tous ces documents en une brochure, sous ce titre : Lignes stratégiques pour la défense de la capitale du royaume, du territoire français et de l’Algérie, brochure qu’il avait ensuite fait distribuer à tous les membres du Parlement. À côté de données qui ont vieilli, il s’y trouve des parties surprenantes, prophétiques. C’est ainsi que, pour l’emplacement de ses tours détachées, il indiquait presque la ligne qu’on devait adopter pour les nouveaux forts, après 1870. Mais il y a là toute une étude trop longue, d’un singulier intérêt, que je ferai plus tard, dans le livre que je me propose d’écrire.

Et j’en finirai avec le dossier retrouvé aux archives du génie, en donnant en entier la lettre écrite par le ministre à mon père. Je dirai ensuite pourquoi.

« À Monsieur Zola, demeurant à Paris,
rue Saint-Joseph, 10 bis.
« Monsieur,

« Vous aviez adressé à Sa Majesté, qui en a ordonné le renvoi à mon ministère, un mémoire sur le projet de fortifier Paris, dans lequel, critiquant les dispositions qu’on veut suivre, vous proposiez de substituer à ces dispositions, un système de tours qui, sous le rapport de la défense, de l’économie, du temps nécessaire à l’exécution, etc., etc., présenterait, disiez-vous, un avantage incontestable.

« J’ai chargé monsieur le président du comité des fortifications d’examiner attentivement votre mémoire, et j’ai reconnu, d’après le rapport détaillé qu’il m’a soumis à cet égard, que vos idées sur la manière de fortifier Paris n’étaient pas susceptibles d’être accueillies.

« Je me plais néanmoins à rendre justice aux louables intentions qui ont dicté votre démarche, et je ne puis que vous remercier de la communication que vous avez bien voulu faire au gouvernement de vos études sur cet objet.

« Recevez, monsieur, l’assurance de ma parfaite considération.

« Le ministre de la guerre,
« Soult. »

Le maréchal Soult ! Ce nom, au bas de cette lettre, m’a donné un éblouissement. Le ministère Thiers était en effet tombé le 29 octobre 1840, et un ministère Soult lui avait succédé, qui devait durer jusqu’à la fin de l’année 1847. Il y avait donc près d’un mois que le maréchal était au pouvoir, lorsqu’il eut à s’occuper du projet de mon père et qu’il signa la lettre qu’on vient de lire. Or la rencontre prodigieuse est que le maréchal Soult avait déjà été ministre de la guerre en 1832, et que c’était à lui qu’étaient arrivés le rapport Combe et la lettre Rovigo, et que c’était lui qui avait dû régler la question, si obscure aujourd’hui, de la démission de mon père. Le voyez-vous avoir affaire « au vil instrument de toutes les turpitudes humaines, à l’intrigant plein de mensonges, de déceptions et de vilenies », dont parle la prétendue lettre Combe, le voyez-vous se souvenant et écrivant avec cette courtoisie à mon père, que lui envoient le roi et le président du conseil ? Comment m’expliquera-t-on cela, et n’est-il pas évident que mon père avait justifié sa conduite et qu’il ne restait rien de ce qu’on avait eu peut-être à lui reprocher ?

Mais je veux que la démonstration soit plus éclatante encore. Et pour cela je n’ai qu’à reprendre la vie au grand jour, les travaux considérables de mon père, depuis le 24 janvier 1833, date de son arrivée d’Alger à Marseille, jusqu’au 27 mars 1847, date de sa mort, dans cette ville de Marseille, à laquelle il s’était dévoué et qu’il aima tant.

Depuis une semaine, je feuillette mes vieux papiers de famille, j’y fais à chaque instant des découvertes qui m’étreignent le cœur. Loin de se cacher, mon père, à son retour d’Alger, ouvre un cabinet d’ingénieur. Il habite la rue de l’Arbre de 1833 à 1835, il s’installe ensuite, de 1835 à 1838, au no 22 de la Cannebière, où il occupait trois dessinateurs et deux élèves. Le document le plus ancien que j’aie retrouvé, est une lettre du maire Consolat, dont le souvenir est resté si vif, une sorte de circulaire, datée du ler août 1833, qu’il adressait à mon père, pour le prévenir que les essais proposés par diverses personnes pour améliorer l’éclairage des rues, commenceraient le 8 août, et pour le prier de se présenter à l’Hôtel de Ville, où on lui indiquerait les rues dans lesquelles les essais auraient lieu. Il n’était là que depuis cinq mois, et déjà le besoin de création le tourmentait, il se passionnait pour les travaux d’intérêt public.

Il devait aussi plus tard, en 1838, lorsque le canal n’amenait pas encore les eaux de la Durance, rêver de soulager la ville, en attendant, par un moyen ingénieux. Et j’ai retrouvé la trace de ce projet, dans une brochure imprimée à Paris, chez Poussielgue, rue du Croissant. Le titre suffit à indiquer l’idée : « Lettre adressée à M. le maire et à MM. les membres du conseil mu-