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UNE CAMPAGNE

Que M. Émile Augier regarde autour de lui. Nos Olympes se marient souvent, et parfois avec des comtes de Puygiron. Je ne dis pas que ces mariages tournent pour le mieux et que les maris soient longtemps enchantés de leurs femmes. Mais n’est-il pas d’une observation constante que les Olympes, dès leur entrée dans le monde, n’ont plus qu’un désir, celui de se faire accepter, de jouer à la grande dame, de donner le pain bénit ? même elles deviennent souvent d’une pruderie féroce. Peut-être ont-elles certains besoins de débauche ; seulement, elles se cachent, et si elles s’oublient avec leurs laquais, personne n’en sait rien. Voilà ce que donne la généralité des faits.

Certes, le Mariage d’Olympe reste une œuvre dramatique puissante, mais cette œuvre est, selon moi, d’une observation souvent fausse, surtout dans sa brutalité voulue. Et, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est point parce qu’elle est hardie, que toujours le public s’est cabré devant elle ; c’est parce qu’elle n’est pas humaine, parce qu’elle sent le parti pris d’un auteur qui veut prouver quelque chose et qui dès lors se moque du vrai. Si la Dame aux camélias et les Filles de marbre ont passionné Paris, malgré leur mensonge, cela s’explique par leur côté sentimental ; tandis que le Mariage d’Olympe, sec, froid, volontairement et faussement cruel, n’a pas l’émotion nécessaire pour dissimuler son paradoxe sous les larmes. Une salle peut bien applaudir la vérité, du moins je veux le croire ; mais il est certain que, si elle applaudit un mensonge, il faut que ce mensonge soit aimable ou attendrissant.

L’insuccès relatif du Mariage d’Olympe m’avait toujours préoccupé. Est-ce que réellement le public refusait une peinture vraie de la courtisane ? J’ai vu la pièce à la scène, et je suis certain que le public refuse simplement un réquisitoire blessant dans son obstination. Malgré sa valeur littéraire, l’œuvre est condamnée, parce que, sous son apparente crudité d’analyse exacte, elle est mensongère. En tout cas, Olympe est une traîtresse du boulevard du crime, elle n’est pas la fille moderne.


Voilà donc la fille au théâtre, dans les œuvres maîtresses de notre temps. On a fait asseoir la fille sur la sellette dramatique, et tandis que, d’un côté, Victor Hugo et M. Dumas plaidaient le pardon par l’amour, de l’autre Théodore Barrière, Lambert Thiboust et M. Émile Augier réclamaient la tête de la coupable, en la noircissant de tous les crimes. Je vois bien là des avocats, la défense et l’accusation. Mais où donc sont les savants et les observateurs, qui, après avoir étudié sérieusement la fille, nous diront la vérité sur elle ?

Mon Dieu ! oui, c’est là ce que je réclame. Je crois le théâtre mûr pour la vérité, j’estime que si M. Dumas refaisait la Dame aux camélias, il ne serait plus obligé de mentir, car le public commence à comprendre que la morale n’est pas dans l’erreur. Prenez la fille moderne, et étudiez-la. Elle n’est pas plus Marion et Marguerite qu’elle n’est Marco et Olympe. Presque toujours, elle se présente comme une force inconsciente ; si elle corrompt et désorganise, ce n’est pas comme une traîtresse de mélodrame, mais comme un ferment de pourriture, que la société dépose elle-même et qu’elle laisse ensuite germer et grandir. Le milieu fait la fille, qui plus tard, par une action réflexe, gâte le milieu. Tout le problème scientifique de la prostitution est là et pas ailleurs.

On me dira : « Pourquoi étudier la fille ? Cela est sale et répugnant. » Sans doute. Mais Victor Hugo et les autres ont bien commencé, et ils n’ont eu que le tort de mentir, car le mensonge, même quand il est noble, n’est jamais bon. Ensuite, il me paraît lâche de reculer devant certains problèmes, sous le prétexte qu’ils sont troublants. C’est l’égoïsme heureux, c’est l’hypocrisie satisfaite, érigés en système : laissez faire, cachons le mal, célébrons la vertu absente et buvons frais. Je comprends la morale d’une autre façon. Elle n’est pas dans la déclamation lyrique, elle est dans la connaissance exacte des faits. Et c’est là ce naturalisme, qui soulève tant de rires et que l’on couvre de boue si bêtement.

Je finirai par ces grandes paroles de Claude Bernard : « On a compris qu’il ne suffit pas de rester spectateur inerte du bien et du mal, en jouissant de l’un et en se préservant de l’autre. La morale moderne aspire à un rôle plus grand : elle cherche les causes, veut les expliquer et agir sur elles ; elle veut, en un mot, dominer le bien et le mal, faire naître l’un et le développer, lutter avec l’autre pour l’extirper et le détruire. »


NANA.

Lorsque tout la presse a parlé, j’aime à résumer les questions. Par exemple, la critique entière vient de discuter furieusement Nana, le drame joué ces jours-ci à l’Ambigu. Eh bien : je demande la permission de conclure sur ce sujet, que je connais parfaitement et à propos duquel je puis donner des notes intéressantes. Certes, mon humble personnalité disparaît dans tout ceci. J’entends n’y étudier qu’un cas littéraire curieux et instructif.

D’abord, il paraît que j’ai commis une action abominable en autorisant M. William Busnach à tirer un drame de mon roman. Sur ce point, la critique est unanime à m’écraser de ses foudres. Ma dignité, affirme-t-on, m’obligeait à faire le drame moi-même.

C’est ici que commencent mes effarements. Eh quoi ! j’aurais commis cette première abomination sans m’en douter ! Mais, pour ne citer qu’un grand exemple, il me semblait que Victor