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LUCIUS.


la placèrent sur le dos. Puis nous sortîmes de la ville pour courir la campagne. Quand nous arrivions à un bourg, moi, baudet porte-dieu, je ne bougeais, tandis que la troupe faisait rage de jouer de la flûte avec un bruit de possédés. Puis ils jetaient leurs mitres à terre et, au milieu de mille contorsions, la tête rejetée en arrière, tournant, roulant, comme détachée du col, chacun se mettait à se taillader les bras à coups d’épée, à tirer une longue langue, à se la mordre, à la déchiqueter, si bien qu’en un instant tout était inondé de sang. Moi qui voyais tout cela, je me tenais coi ; j’avais peur d’abord que Fa déesse n’eût besoin aussi de sang de baudet. Après s’être ainsi bien tailladés, ils faisaient la quête et recevaient des spectateurs force drachmes et oboles. Tel donnait des figues, des fromages ; tel un petit tonneau de vin, un médimne de blé, et jusqu’à de l’orge pour l’âne. Le produit servait à les faire vivre et à parer la déesse dont j’étais porteur.

XXXVIII. Un jour, dans un village où ils s’arrêtèrent, ils dénichèrent, je ne sais où, un grand gaillard de paysan jeune et vigoureux, et l’emmenèrent à leur logis. Une fois là, ils se livrèrent à lui pour en agir avec eux suivant l’habitude et les goûts de ces infâmes débauchés. Je souffrais plus que jamais de ma métamorphose. « Jusqu’à présent, m’écriai-je, j’ai supporté mes maux, cruei Jupiter ! » ou plutôt je voulus crier c » la ; car ce ne fut point ma voix qui sortit de mon gosier, mais bien celle de l’âne : je ne fis entendre qu’un immense braiment. Quelques paysans se trouvaient par hasard dans le voisinage à chercher un âne qu’ils avaient perdu : ils n’ont pas plus tôt entendu les éclats de ma voix, qu’ils entrent sans rien dire à personne, croyant que je suis leur âne, et surprennent nos débauchés au milieu de leurs infâmes pratiques. Dieu sait s’ils se font faute de rire. Ce n’est pas tout : une fois dehors, ils font part à tout |e village de l’im-


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