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LUCIUS.


et y faire large curée, comme c’est l’usage quand il y a noce dans une bonne maison. Quelques jours après le mariage, ma maîtresse ayant dit à son père la reconnaissance qu’elle m’avait et son désir de me traiter en conséquence, le bonhomme ordonna de me laisser aller à mon gré par les champs et de me mettre paître avec ses juments poulinières. c( De cette façon, dit-il, il vivra paisiblement, comme en pleine liberté, sans autre occupation que de saillir les juments. » A juger la chose en âne, c’était en effet un magnifique traitement. Il fît donc appeler un de ses éleveurs et me confia à lui. J’étais tout gaillard, à la pensée que je n’aurais plus de fardeau à porter. Une fois aux champs, le gardien me mit avec les cavales et nous conduisit au pâturage.

XXVIII. Mais, même là, je devais voir se réaliser pour moi l’histoire de Candaule. Le surveillant des chevaux me laissa chez lui è sa femme Mégalopole, qui me mit à la meule, pour moudre son froment et son orge. Jusque-là, la chose était supportable ; un âne qui a le cœur bien placé peut bien moudre pour ses maîtres ; mais l’excellente femme prenait aussi à moudre le blé des paysans voisins, — et il y en avait bon nombre. — Elle se payait en farine et trafiquait ainsi des fatigues de mon pauvre col. Elle dîmait même sur ma propre pitance : car elle faisait rôtir mon orge, me le donnait à moudre, en faisait des gâteaux qu’elle avalait bel et bien, et ne me laissait à manger que le son. Que si par hasard on me menait paître avec les juments, les étalons m’accueillaient à coups de pieds, à coups de dents ; c’était à me tuer sur place. J’étais pour eux un intrus, un adultère qui en voulait aux juments leurs épouses, et les ruades allaient leur train sur le pauvre baudet. Victime de cette jalousie chevaline, je me morfondais ; je devins en peu de temps maigre et laid ; je ne trouvais plus un instant de repos, ni à la maison, grâce à la meule, ni au pâturage où