Page:Zevaco - Triboulet, 1901.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
TRIBOULET

Il dédaigna d’ailleurs de répondre et poussa son cheval.

Cette fois, la Gypsie n’essaya plus de l’arrêter.

Mais si le comte de Monclar se fût retourné à ce moment, il eût sans doute frissonné de terreur, lui, l’impassible sous le regard de haine effroyable que lui dardait l’étrange vieille…

Le grand prévôt songeait :

— Le renseignement est bon ! Lanthenay reçu chez Dolet ! Nous ferons d’une pierre deux coups…

Au moment où Monclar et son escorte disparaissaient au tournant de la rue Saint-Denis, un jeune homme sortit d’une maison, et, apercevant la vieille Gypsie, s’avança vers elle.

La Gypsie ne le vit pas venir. Elle était toute aux sentiments qui ravageaient sans doute à cette minute son cœur et son esprit.

Le jeune homme, en approchant de la vieille, eut un regard de pitié et de répulsion à la fois.

Il la toucha à l’épaule.

Elle eut un tressaillement violent, comme si, d’un rêve lointain, elle eût été trop vite ramenée à la réalité.

— Lanthenay ! balbutia-t-elle en passant sa main sèche sur son front creusé d’innombrables petites rides.

— Que faisais tu là, mère Gypsie ? demanda le jeune homme d’une voix douce et grave

— Rien, mon enfant… Tu sais… J’aime à vaguer par les rues… c’est un souvenir de ma vie errante de jadis… alors que j’allais sur les grandes routes… avec mon homme…

— Pauvre mère Gvpsie ! Tu ne te décideras donc pas à habiter une maison convenable, à t’habiller… à vivre en paix… à chercher enfin un peu de bien-être et de bonheur !… Tu sais pourtant que je t’offre tout cela, bonne mère !… Viens habiter avec moi… je te ferai la vie douce, et je t’arrangerai une vieillesse reposée…

— Oui, oui… Je sais que tu m’as gardé une belle reconnaissance, mon enfant… tu es un bon cœur…

— N’est-ce pas vous qui m’avez recueilli… pauvre orphelin que j’étais… abandonné du ciel et des hommes !

— C’est vrai… Et tu es aussi le seul lien qui me rattache à la vie… je n’aime plus que toi au monde !… Mais comme je t’aime aussi !…

La vieille fixa sur le jeune homme un étrange regard.