Page:Zevaco - Triboulet, 1901.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
TRIBOULET

tes de l’audace. Je dis : sire, qu’avez-vous fait de Gillette, ma fille ?

Le roi grinça des dents. Il secoua frénétiquement le bras de Triboulet. Il dit :

— Ta tête au bourreau, vil bouffon, si jamais qui que ce soit au monde a entendu ce que tu viens de dire !

— Sire ! Mon enfant ! Je veux mon enfant !

Triboulet s’exaltait… une sorte de folie troublait maintenant son regard.

D’une voix plus basse encore, plus âpre, plus formidable de fureur concentrée, le roi ajouta :

— Tu mens ! Tu mens ! Gillette n’est pas, Gillette ne peut pas être la fille d’un bouffon !

— Pourquoi, sire ? Pourquoi ? interrompit Triboulet éperdu.

— Parce qu’elle est fille de roi, entends-tu, misérable… parce qu’elle est ma fille… à moi !

Triboulet chancela, saisi de vertige.

Une joie immense et délirante, une douleur mortelle ces deux sentiments se ruèrent ensemble, à la même seconde sur son cœur affolé.

La joie !… Gillette était respectée, Gillette était pure… puisque le roi, son ravisseur, était son père !

La douleur !… Gillette n’était plus sa fille, à lui… puisqu’elle était la fille de François Ier.

Et tout d’abord, la joie l’emporta, déborda en tumulte, en véritables rafales.

Il se laissa tomber à genoux, écrasé sur le parquet.

— Sire ! Oh ! Sire ! Soyez béni ! Comme vous êtes noble et généreux de me faire savoir que mon enfant… mon pauvre ange… si pur… n’a pas subi la déchéance ! Elle est pure… Et moi, je m’étais figuré hier… oh ! je suis fou… je ris… je pleure… ne faites pas attention sire… Supposez le condamné qui, dans sa prison, attend le bourreau… La prison s’ouvre… ce n’est pas le bourreau… c’est la grâce ! c’est la vie ! Concevez-vous la joie… Je suis ce condamné, sire !… Ah ! je n’en puis plus de joie ! Cela me suffoque ! Je vous bénis, sire ! Étais-je bête ! Étais-je stupide ! Moi qui croyais qu’un caprice… un amour poussait mon roi vers ma fillette ! Triple niais ! Sacrilège ! C’était un père qui voulait sa fille ! N’est-ce pas naturel ? Elle est pure ! Ce n’étaient pas des regards de désir qui étaient tombés sur elle ! Sauvée ! Ah ! sire ! Peut-on, sans mourir, éprouver des joies pareilles…