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TRIBOULET

chaîne et, se tournant vers Gillette toute tremblante :

— Ici, mon enfant, vous êtes en sûreté… Ne tremblez donc pas ainsi… Julie ! Avette ! appela-t-il à haute voix.

Les deux femmes, réveillées déjà par le bruit, s’étaient habillées en toute hâte.

Elles apparurent au haut d’un bel escalier de bois qui conduisait à l’étage supérieur et descendirent.

— Avette, dit gravement Dolet, mon ami Manfred est presque le frère de ton fiancé Lanthenay… Il nous fait l’honneur de nous confier cette jeune fille… Aime la donc comme si elle était ta sœur.

En quelques mots, il mit sa femme au courant de ce qui venait de se passer. Et déjà les deux femmes comblaient Gillette de leurs caresses… Elle se sentait revivre, souriait doucement…

— Comme vous êtes belle ! disait Avette. Savez-vous que nous vous connaissons bien, n’est ce pas, mère ?…

— Certes, reprenait Julie, nous vous avons vue passer plus d’une fois…

— Et nous vous admirions… je vous trouvais si jolie…

— Vous aussi, vous êtes belle ! dit Gillette avec une sincère et naïve admiration.

— Manfred est donc votre ami ?… Quel bonheur !… Il est si brave… et si bon… Lanthenay l’aime tant !…

— Je ne le connais que depuis tout à l’heure ! répondit Gillette en rougissant… mais je l’avais vu quelquefois… Je crois en effet qu’il est bien brave… Il m’a sauvée d’un grand péril… Jamais je ne l’oublierai !

Elle joignit les mains avec force, par un geste nerveux qui lui était habituel. Ses beaux yeux se voilèrent. L’affreuse scène se représentait maintenant à son imagination avec une effrayante netteté.

Trop délicates pour l’interroger, Julie et sa fille s’ingéniaient à consoler Gillette. Dolet regardait cette scène paisible et douce de ses yeux graves de penseur.

— Oh ! dit alors Gillette, dans un mouvement de réaction de son effroi, ces inconnus qui sont entrés soudainement… et cet homme qui m’insulte de son regard, de sa parole et de son geste… qui me saisit… qui m’emporte !… Oh ! cet homme surtout ! J’en ai peur ! il m’inspire une insurmontable aversion !…

— Chère enfant !… Ne craignez plus rien !…

— Oh ! non, n’est-ce pas, madame… je n’ai plus rien à redouter ?…