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TRIBOULET

— Tu es un félon qui, traîtreusement, la nuit, se glisse dans les demeures pour y jeter la honte.

— Damnation ! Tu seras pendu !

— À moins que je ne te cloue à ce mur…

— Insensé ! Tu m’obliges à t’écraser de la révélation de mon nom… Mais c’est ta mort ! Sache-le donc, acheva François Ier d’une voix tonnante. Sache-le, ce nom redoutable ! À genoux, misérable, à genoux ! Je suis le roi de France !

— Et moi, riposta l’âpre voix de l’inconnu, moi, je suis Manfred, premier et dernier du nom… Manfred sans famille, sans père ni mère, sans sou ni maille, sans feu ni lieu… Manfred, roi des gueux !…

François Ier éclata d’un rire nerveux :

— Un truand !…

— Un homme, monsieur !

— Et moi qui me mettais en colère ! L’aventure est plaisante !

— Prenez garde qu’elle ne devienne tragique !

Les paroles se croisaient, cliquetaient — duel fantastique d’un hère inconnu avec le plus redoutable monarque du monde…

— Plus un mot, mon maître ! poursuivit François Ier avec un geste de souverain mépris.

— Donnons donc la parole aux épées !

— Va ! Je te fais grâce !

— Dégaînez ! Dégaînez, monsieur ! Ce que pèse l’épée de Pavie devant la rapière d’un gueux, nous allons le savoir !

— Allons donc, truand ! Tu es au bourreau !

— Et vous, à ma merci !

Le roi pâlit.

— Écoute ! fit-il, plus hautain, plus dédaigneux encore : pour la dernière fois, au large ! Et tu auras la vie sauve !

— Pour la dernière fois, monsieur, écoutez ceci !…

Manfred fit un pas.

Son bras s’allongea… le bout de son doigt vint se poser sur la poitrine de François Ier.

— Dans un instant, acheva le jeune homme, ma dague va remplacer mon doigt à cette place même, si tu ne lâches cette jeune fille !

Le doigt pesa comme une pointe de fer.

Les visages des deux hommes se touchaient presque effrayants tous deux, convulsés, livides…