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TRIBOULET

tion, avait écouté à la porte, raconta plus tard à son lieutenant Montgomery qu’il n’avait jamais entendu pareils accents de lamentation, et qu’il avait dû s’en aller pour ne pas sa mettre à pleurer.

— Sans pitié !… grondait Triboulet en labourant les dalles de ses ongles saignants. Ce roi est sans pitié !… Pouvais-je lui dire ! Il se serait ri de moi !… ô ma Gillette !… ô mon ange candide et pur !… Pouvais-je lui dire, à ce monstre, que tu es toute ma vie !… que nos destinées sont indéliables… depuis le jour où, pauvre enfant perdue, tu apparus si pitoyable au bouffon enchaîné que raillait une ville entière !… depuis l’heure bénie où ton regard de pitié fut le rayon céleste qui éclaira mon enfer !… Ma fille !… Je vous assure, Sire, qu’elle est devenue ma fille, à moi qui n’ai ni père, ni mère, ni femme, ni amante, ni enfant, ni rien au monde !… Rendez-moi ma fille ! Pitié, Sire ! Oh ! le maudit ! Oh ! le damné !…

Au matin, on pénétra dans la salle basse.

On trouva Triboulet évanoui.

Chose affreuse : sur la figure, insensible et raidie, coulaient lentement des larmes qui tombaient une à une et roulaient sur les dalles.




IV

LE GUEUX


Le roi François Ier courait à l’enclos du Trahoir.

Il ne songeait déjà plus aux prières de son Fou. Il marchait, rapide et silencieux, souriant à son rêve d’amour.

Ses compagnons respectaient sa rêverie…

Soudain, comme ils débouchaient dans la rue Saint-Denis, une femme à peine vêtue, malgré le froid, les seins nus, les cheveux dénoués, les croisa sans les voir.

Et sa voix s’éleva, stridente :

— François ! François ! Qu’as tu fait de notre fille ! de ta fille !…

Le roi s’arrêta, pâle et frissonnant.