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PRÉLIMINAIRE.

avoient travaillé à me procurer un ſort compatible avec le plan, pour l’exécution duquel j’avois en quelque ſorte forcé les événemens.

De ſon côté, la Compagnie des Indes me donna le paſſage gratis ſur un de ſes Vaiſſeaux, le Duc d’Aquitaine, la Table du Capitaine, une chambre ; & je me diſpofai à partir pour les Indes Orientales, dans la réſolution d’en rapporter les Loix de Zoroaſtre & celles des Brahmes.

J’étois au Port-Louis, lorſqu’un coup de canon, tiré à ſept heures du matin, le 7 Février 1755, m’avertit de me rendre à bord ; & je m’étois à-peine arraché aux embraſſemens de mes amis, que je vis le Vaiſſeau à la voile entrer dans le Canal du Port-Louis. Je me jette auſſi-tôt dans le premier Canot qui ſe préfente, & à force de rames, je gagne la Chaloupe. Le premier Grapin que le Canorier lença pour l’accrocher, manqua ; & le choc de cette maſſe penſa renverſer mon Canot. Nous en jettâmes un ſecond ; &, dans la vivacité avec laquelle je m’élançai dans la Chaloupe, je ne m’apperçus pas que je m’étois preſqu’arraché un doigt.

Je doublai la Citadelle du Port-Louis dans la Chaloupe qui ne tenoit au Vaiſſeau que par un cable retenu avec peine par deux hommes. Le clapotage de la mer l’agitoit furieuſement ; les vagues la lançoient quelquefois contre le Vaiſſeau : & l’on me dit dans la ſuite que j’avois couru un vrai danger. Mais je ne penſois guere alors à ma ſituation. Ce qui m’occupoit, étoit d’un côté le fracas horrible des vagues, qui, preſſées par le Vaiſſeau & par les rochers du Port-Louis, jettoient au loin une écume de feu ; de l’autre, cette Fortereſſe ambulante couverte de plus de ſix cents perſonnes, qui marchoit à mes côtés avec une majeſté effrayante ; derriere moi, la Terre que je quittois peut-être pour toujours ; au-devant, l’étendue immenſe des eaux au milieu deſquelles je voyois le Vaiſſeau s’avancer comme dans un abîme. Ce Tableau, comparé à l’état d’abandon où je me trouvois dans la Chaloupe, m’occupoit encore, lorſque je montai dans le Vaiſſeau.