Page:Zaccone - Éric le mendiant - Un clan breton, 1853 .djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
UN CLAN BRETON.

sorte d’influence magnétique. À ces époques de passion brutale et d’instinct grossier, où l’amour de la matière et de la forme était porté à un haut degré, c’étaient deux grandes puissances que la force et la beauté. Pialla l’avaient bien compris, mais quoiqu’elle fût pénétrée de cette vérité, elle n’avait éprouvé jusqu’alors ni le besoin, ni le désir de faire usage de sa puissance.

Convertie depuis peu de temps au christianisme, elle avait appris qu’il existe une autre force, une autre puissance que celle de la matière, et que derrière ce monde réel, les âmes épurées par le sentiment chrétien peuvent trouver un monde idéal plein d’enchantements. Pialla était une enfant égarée dans cette société barbare du viie siècle, une âme échappée des mains de Dieu, et qui accomplissait sur ce coin de terre sa mystérieuse destinée. M. Alfred de Vigny raconte qu’un ange s’étant échappé du ciel vint s’asseoir, tout rêveur et plein d’amour, sur le bord des abîmes éternels. Pialla ressemblait à cet ange.

Elle se plaça donc sur le gazon, et, s’enveloppant frileusement dans le manteau qu’une de ses femmes avait jeté sur ses épaules pour la garantir du froid, elle abandonna son âme aux plus douces rêveries. Le bruit de la chasse l’inquiétait peu : le cœur d’une jeune fille est une source intarissable d’où coulent incessamment les rêves enchantés d’un autre monde. Elle repassa dans sa mémoire toute sa vie jour par jour, avec ses joies d’enfant, ses aspirations indéfinissables de femme ; puis, comme elle se sentait pleine de bonté et d’amour, elle chercha instinctivement si dans sa vie d’enfant ou de femme, aucun être ne marchait à ses côtés, et se demanda quelles destinées lui étaient réservées dans l’avenir que son regard entr’ouvrait. Alors elle s’aperçut qu’elle n’avait pour