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Léonora silencieuse, pareille à un spectre, s’était glissée dans l’angle le plus obscur de cette pièce. Ses yeux demeuraient fixés sur son mari. Sa pensée éperdue cherchait un moyen de le reconquérir – ou de le conquérir. Car jusque-là, il ne l’avait jamais aimée. Et elle l’aimait, elle, de toutes les forces de son être. Elle souffrait atrocement. Et elle n’avait même pas le droit de se plaindre ! Personne à qui confier sa peine, car elle était orgueilleuse. Elle se débattait seule dans la vie ; elle se consumait cette lutte étrange, fantastique et terrible : la conquête de son mari ! Tout ce qu’elle disait, faisait, pensait, aboutissait là. Tous les actes extérieurs de sa vie, son âpre ambition, sa rude soif de l’or, tout cela n’était qu’un moyen et non un but. Le vrai but, c’était d’être aimée enfin par Concini.

Concini, d’un pas souple et rude, allait et venait par la chambre. D’abord, il parut assez calme. Il mâchonnait de sourdes imprécations. Une colère furieuse, peu à peu, montait en lui. Puis, la douleur d’amour et de jalousie fut la plus forte. Un sanglot roula dans sa gorge, comme ces coups de tonnerre lointains qui sont le prélude de l’orage. Puis, la douleur éclata. Brusquement, il tomba à genoux, enfouit sa tête dans les coussins de soie d’un canapé, et, les épaules secouées, longtemps, il cria sa douleur en plaintes inarticulées.

Des larmes silencieuses coulaient sur les joues de Léonora immobile, et elle songeait :

"O mon Concino, mon pauvre adoré comme il souffre !… Pleure, va, pleure, mon pauvre bien-aimé, tu ne pleureras jamais autant que pleure mon cœur."

Doucement, elle toucha son mari à l'épaule. Il leva la tête, et la vit. Alors, il se rappela ... Il allait triompher de Giselle, là, tout à l'heure. Il la tenait ! Elle était presque vaincue. Et vaincue ou non, elle aurait été à lui ! Et alors, sa femme était apparue ! Concini se releva. Il haletait. Une formidable expression de menace s’étendit sur sa figure convulsée. Il souffla fortement, et gronda :

"C'est toi qui as prévenu Maria ?

— C’est moi, dit Léonora – et ses larmes continuaient à rouler sans arrêt, sans qu’elle songeât à les essuyer. – C’est moi qui lui ai fait savoir que tu allais la trahir ; c’est moi qui lui ai envoyé Marcella ; c’est moi qui l’ai amenée ici ; c’est moi qui l’ai conduite jusqu’à cette porte derrière laquelle nous avons écouté… c’est moi ! Concini. Tue-moi, si tu veux. Au moins, je ne souffrirai plus."