Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/83

Cette page n’a pas encore été corrigée

tout arranger : allez à votre rendez-vous ce soir, et nous nous battrons demain.

— Quoi ! s’écria Cinq-Mars transporté, cela ne vous fait donc rien que j’aie un rendez-vous avec Marion Delorme, et qu’elle m’aime... car elle m’adore !

— Moi ? Que voulez-vous que cela me fasse, sauf le plaisir que je vous souhaite ?"

Cinq-Mars se leva, courut à Capestang, le serra dans ses bras et cria :

"Ah ! mon cher ami ! J'ai cent livres de moins sur la conscience ! Je suis l’homme le plus heureux de Paris, de France et de Navarre ! Figurez-vous que je croyais, ou plutôt ne vous figurez rien, mais disposez de moi, usez-en, abusez-en ; ma bourse, mes influences, je veux tout partager !

— Cher marquis ! fit Capestang émerveillé ! Mais, hélas ! voici qu’il est trois heures, et...

— Au diable le duel ! s’écria Cinq-Mars avec fougue. Lanterne ! Lanterne ! ajouta-t-il en appelant son valet qui apparut. Du vin, drôle ! Du meilleur ! du xérès ! Du chypre ! Ne vois-tu pas que M. le chevalier, mon ami, a soif et que nous nous battons à qui videra le plus de flacons !

— Ah ! marquis, dit le chevalier, ceci n’est pas loyal, ceci sent son guet-apens : vous m’attirez à un duel de vins d’Espagne et des îles, alors que je ne suis fort que sur les vins de France !

— Lanterne ! vociféra Cinq-Mars. Du vin d’Anjou ! Du vin de Bordeaux ! Du vin de Bourgogne ! Du vin de Champagne ! De toutes les provinces ! Je veux toute la France sur cette table !"

Lanterne, énorme valet bouffi de vanité, apparut avec plusieurs flacons que Cogolin l'aidait à porter en disant :

"Ah ! monsieur de Lanterne, que de fonds de bouteilles pour nous !"

Le valet ainsi anobli se rengorgeait.

Et les deux amis d’éclater de rire et de se mettre à déboucher force flacons. Cependant, comme il n’est soif ou joie, même d’amour, qui ne finisse par s’apaiser, comme il n’est roman auquel il ne faille mettre le mot « fin », et qu’un déjeuner, si succulent qu’il soit, n’est autre chose qu’un roman gastronomique, les adversaires, devenus amis intimes, se quittèrent vers cinq heures, en se jurant force amitiés et en se faisant force promesses de se revoir.

Capestang, suivi à six pas par Cogolin qui, d’un mot, lui indiquait la route, gagna la rue Dauphine et, à l’angle du quai que lui avait signalé Concini, vit en effet un seigneurial hôtel qui ne pouvait qu’être celui qu’il cherchait. Mais ce magnifique logis avait un visage d’une ineffable tristesse. Les volets rabattus, les lézardes des murs, cette porte fermée immuablement dont le marteau n’avait pas été soulevé depuis