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deux heures, les deux adversaires se regardaient avec une sympathie évidente. Car rien n’attire la sympathie comme ces irrésistibles aimants qui sont la jeunesse, la loyauté, la bravoure.

"Il conspire avec le duc d'Angoulême, songea Capestang. Il est donc l’ennemi de Concini. Tout en me réservant le mérite de prévenir le duc et en gardant pour moi ce que j’ai appris dans le cabinet, c’est-à-dire dans le coupe-gorge du maréchal, je puis bien lui raconter ma bataille avec la bande enragée..."

"Quel dommage, songeait de son côté Cinq-Mars, que ce galant homme me dispute justement la seule fille que je puisse aimer... Marion, ma chère Marion !"

"Ma foi, mon cher marquis, dit Capestang, j’ai bien failli arriver en retard à votre rendez-vous, et même ne pas y arriver du tout, ce qui, croyez-le bien, m’eût été un véritable crève-cœur. Mais, à l’heure qu’il est, je devrais être mort, ce qui d’ailleurs vous eût épargné la peine de me tuer."

Et Capestang, la tête pleine de fumées de gloire, fumées de vin, le verbe sonore, le geste multiple, commença un récit qu’il mima, joua, se levant, allant, venant, se fendant, se débattant, parant, ripostant, un récit épique d’une action épique, un récit flamboyant que Cinq-Mars écouta avec enthousiasme et admiration.

"C’est superbe ! s’écria-t-il enfin lorsque Capestang, sur un dernier trait, termina, saisit son verre, le balança un instant d’un geste glorieux et le vida d’une lampée. Superbe ! Merveilleux !

— N'est-ce pas ? dit naïvement le chevalier qui, d’ailleurs, appliquait ces épithètes à son bonheur et non à son courage.

— Ah ! chevalier, pourquoi sommes-nous ennemis ? Pourquoi faut-il que nous soyons forcés de nous pourfendre !

— Au fait, marquis, pourquoi diable nous battrons-nous ? Je veux être pendu si je le sais ! Et vous ?..."

Cinq-Mars regarda fixement son adversaire, et dit :

"Chevalier, j’ai d’autant plus de regret de me battre aujourd’hui que j’avais pour ce soir un rendez-vous auquel je serai au désespoir de manquer, si je suis blessé. Vous allez tout comprendre, ajouta-t-il en appuyant sur les mots : ce rendez-vous m’a été donné par Mlle Marion Delorme."

Cinq-Mars mentait : il voulait simplement pousser Capestang, lui arracher la vérité, se convaincre de son malheur, et entendre dire à son rival qu’il était au mieux avec Marion. En un mot, il s’attendait à voir sauter Capestang. Mais fort tranquillement, le chevalier répondit :

" Bah ! Avec cette si jolie fille que je rencontrai à Longjumeau ?

— Avec elle-même ! dit Cinq-Mars d'un ton menaçant.

— Écoutez, mon cher, fit Capestang, il y a un moyen de