— Adieu ! mon enfant chérie, répond le gentilhomme en la serrant dans ses bras. Que deviendrais-je si tu n’étais là, ma belle guerrière, mon vrai sang ! Si ma destinée me porte enfin sur ce trône que les Bourbons ont volé à ma race, c’est à toi que je devrai de régner. Tu es une vraie Valois, ma noble et hardie messagère, ma bien-aimée Giselle ! Toujours à cheval, à travers mille dangers ! Hier encore, tu revenais d’Orléans, d’où tu me rapportais ces précieux papiers. Et te voilà de nouveau en route !
— Bon ! s’écrie gaiement celle qu’on vient de nommer Giselle, dites que je suis un reître, et n’en parlons plus. D’ailleurs, aujourd’hui, le voyage n’est pas terrible, jusqu’au hameau de Versailles. Ce soir, je serai ici… Et puis, j’ai de qui tenir, mon père, puisque je suis petite-fille du roi Charles IX et fille de Charles, duc d’Angoulême !
- Ce soir ! reprend le duc d’Angoulême, dont le front se charge de nuages, dont l’œil étincelle. Ce soir ! C’est ce soir que dans ce pauvre village a lieu l’assemblée des chefs ! C’est ce soir que mon sort se décidera ! C’est ce soir que les envoyés de la noblesse française choisiront entre Guise, Condé et moi ! Que sortira-t-il de cette assemblée, Giselle !... Roi ! Être roi ! Quelle ivresse et quelle gloire !... Et s’ils allaient ne pas me choisir. S’ils allaient me préférer ce Guise intrigant et grossier ou ce Condé avare... Oh ! j’en mourrais de honte !"
Une mélancolie soudaine voile les yeux de Giselle. Elle murmure d’une voix angoissée :
"Hélas ! Qui sait jusqu'où vous conduira cette ambition ! Ah ! mon père, si vous pouviez renoncer.
— Jamais ! interrompt rudement le duc d'Angoulême.
— Pour Dieu ! soyez prudent, au moins ! Vous vous êtes montré dans Paris ! Je tremble, mon père ! Car s’il y a dans Paris un palais qui vous magnétise et s’appelle le Louvre, il y a aussi une forteresse qui a failli être votre tombe !...
— La Bastille ! murmure en frissonnant le gentilhomme ; et un sourire d’affreuse amertume crispe ses lèvres. La Bastille ! Je n’y retournerai pas, sois tranquille. J’y ai trop souffert : si je suis pris, je me tue !... Mais rassure-toi, mon enfant. Toutes précautions sont prises. Je triompherai. Et mon premier acte de roi, ce sera un geste de justice implacable... tu sais contre qui, puisque toi-même tu le hais !"
Un tressaillement agite alors Giselle. Ses lèvres pâlissent. Une inexprimable énergie s'étend sur ses traits. Et elle est bien, alors, toute pareille à ces guerrières des temps lointains qui, de leurs mains frêles, maniaient la hache.
"Oui, dit-elle, je hais, je méprise de toutes les forces de mon être cet homme qui a fait le malheur de ma mère ! Oui, je veux que ma mère soit vengée ! Oui, c’est pour cela que je vous aide, mon père ! Car ce serait à nier toute justice au