— C'était la nuit, continua Violetta, comme si elle n'eût pas entendu. L'homme, depuis des mois, me poursuivait de son amour infâme. Et Charles, mon bienaimé Charles n'était pas là. Où était-il ? Je ne me souviens plus ! Oh ! la terreur de mes jours ! Oh ! la douleur de ma pauvre âme... Charles n’aimait plus sa Violetta !
— Mère ! mère ! Il était en prison... à la Bastille !"
La folle essuya ses larmes et reprit :
"À la Bastille ? Oui. De mon temps, les fils de rois logeaient au Louvre, et non à la Bastille. Moi, j’étais à Orléans. Te rappelles-tu notre hôtel d’Orléans ? C’est là que tu es née, Giselle, c’est là que j’ai été heureuse. Et c’est là que je passais ma vie dans la tristesse, car je ne t’avais même plus près de moi.
— Hélas, ma mère, vous savez quelles démarches je faisais alors à Paris pour obtenir la liberté du fils de Charles IX.
—Notre hôtel d’Orléans ! continua la duchesse d’Angoulême. C’est là qu’un jour, j’entendis les grondements d’une foule. Je regardai. Je vis qu’on poursuivait un homme, qu’on allait le tuer, il vint tomber à genoux contre la porte de l’hôtel, comme s’il eût imploré ma protection. Et moi, j’ouvris, je le fis entrer et, cependant, il me faisait peur : cet homme, c’était un sorcier, un nain, un être informe, la pitié l’emporta sur la terreur, Giselle, je fis entrer le nain dans l’hôtel, je le fis soigner.
— Le nain ? demanda Giselle.
— Oui. Le nain. Le sorcier. Celui qu’on voulait tuer à cause sans doute de quelque maléfice… Et ce fut le nain qui me trahit ! Dans la nuit affreuse où j’ai senti les ténèbres s’abattre pour toujours sur ma pensée, le nain était là qui riait, qui me regardait en riant, c’est lui, oh ! c’est lui qui ouvrit la fenêtre, j’en suis sûre !"
La pauvre Violetta, de ses yeux agrandis, semblait considérer quelque scène lointaine qui s’évoquait difficilement dans son esprit.
"Ma mère, murmura Giselle, ne songez plus à ces choses du passé. Vous êtes ici en parfaite sûreté.
— Le nain était d'accord avec Concini ! poursuivit Violetta d'une voix sourde et tremblante. Je le vis dans ma chambre au moment où je m’éveillai. Je vis qu’il riait – et moi, sans savoir pourquoi, moi qui voulais pleurer, j’éclatai d’un rire qui me faisait un mal affreux. Et depuis, lorsque je sens le hideux rire qui me gagne, je sens en même temps ma raison m’échapper."
La pauvre démente poussa un long soupir, puis d’une voix plus sourde, continua :
"Une nuit, j’avais bien pleuré : il me semblait qu’il n’y avait plus de larmes dans mes yeux... je m’étais endormie. L’homme entra ! Il entra par la fenêtre, et ce fut le vitrail brisé qui me