cœurs intrépides. Les hommes de la trempe de celui-ci sont rares… il me faut des hommes ! Quitte à me venger plus tard, commençons par acheter celui-ci !"
Concini était là tout entier, dans cette souplesse d’esprit vraiment prodigieuse. Le secret de sa fortune tenait dans ces quelques mots de calcul profond. Concini, qui haïssait mortellement ce jeune homme qui l’avait bafoué, insulté, frappé ; Concini, qui avec délices eût signé l’ordre de décapiter l’aventurier, Concini imposait silence à sa haine, et, trouvant un intérêt à s’attacher l’insulteur, oubliait l’insulte... ou remettait à plus tard de s’en souvenir !
"Monsieur, dit-il, votre bataille contre mes hommes a été un chef-d’œuvre. Votre manœuvre à cheval a été une équipée comme le Centaure pouvait en rêver..."
"C'est moi qui rêve !" songea Capestang stupéfait. Et il s’inclina respectueusement.
"J'ai reconnu en vous un brave, continua Concini, et c’est pourquoi j’ai voulu vous voir avant de vous envoyer à l’échafaud.
― Ah ! ah !... À la bonne heure ! Je m'étonnais aussi.
― Silence, monsieur ! dit Concini avec un accent de dignité mélancolique. Votre aventure du bois de Meudon, pour glorieuse qu’elle vous puisse paraître, ne doit vous laisser aucun doute sur le sort qui vous attend. On n’insulte pas impunément un ministre du roi, surtout quand ce ministre s’appelle le maréchal d’Ancre. On ne se jette pas sans risquer sa tête au travers des secrets de l’Etat. C’est beau, monsieur, de délivrer une jolie fille attaquée sur une route ; mais quand la jolie fille est une conspiratrice, quand on s’est ainsi opposé à l’arrestation d’une fille de conspirateur (Capestang dressa l’oreille), quand on a fait manquer ainsi une opération d’où dépendait le salut du roi (elle est sauvée ! songea Capestang), eh bien, monsieur, je le dis à regret, il faut être prêt à regarder en face la hache vengeresse.
― Je suis prêt ! dit Capestang.
— Je sais. Je vous ai vu à l’œuvre, dit Concini en se levant. Monsieur, vous avez insulté César en m’insultant. Et comme autrefois César, j’ai voulu voir de près le gladiateur.
— Et comme les gladiateurs, je vous dis : Ave Cesar, morituri te salutant."
Capestang se découvrit d’un geste large, s’inclina, puis se redressa, remit son feutre sur sa tête et se campa sans qu’un pli de sa physionomie révélât une émotion.
"Monsieur, dit Concini, c’est bien. Voici l’ordre que je viens de signer. Lisez.
― Merci de la faveur grande. Je saurai donc d’avance où, quand et comment je dois mourir ! fit Capestang qui saisit le parchemin.
Et il lut. L’instant d’après son visage s’empourpra. Ses