Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

Devant le poitrail furieux, la bande hésita, oscilla, reflua, puis s’ouvrit comme le flot devant une proue, puis se referma en un sillage bouillonnant. Cela n’avait duré que quelques secondes. Capestang, étonné de ce qu’il voyait et de ce qu’il entrevoyait, rejoignit son guide, qui essuyait à son front quelques-unes de ces gouttelettes glacées que distille la peur.

"Pardieu ! fit-il, mais c'est à vous qu'ils en voulaient."

Rinaldo ne répondit pas, il sautait sur la chaussée et, courant à un homme qu'il avait cru remarquer dans la bande, il le saisissait à la gorge et le secouait en grondant :

"Tu en étais, toi ! Puisque tu es resté en arrière, tu vas payer pour tous !

― Vous vous trompez, hurla l’homme, tandis que les passants terrifiés s’enfuyaient. Miséricorde, à moi ! Au feu ! A la rescousse !"

Le malheureux, à demi étranglé, ne put en dire plus ; mais il leva les yeux au ciel, soit pour protester encore à la muette, soit pour recommander son âme à son saint préféré ; en effet, ivre de rage, Rinaldo venait de tirer son poignard… A ce moment, une violente bourrade le repoussa et il vit devant lui Capestang qui, l’ayant rejoint d’un bond, lui disait :

"Fi ! monsieur, gourmer ainsi un pauvre hère sans défense.

― Vive la plume rouge !" les passants attroupés à distance respectueuse.

Rinaldo tourna vers eux un regard sanglant que tout chargé de haine il ramena sur le chevalier. Mais, tout à coup, sa physionomie se modifia, s’éclaira.

"Ce serait stupide, grinça-t-il en lui-même. Le perdre à cent pas de l’hôtel... du piège d’où il ne sortira pas vivant... où il laissera plume, bec et ongles. Oh ! je veux lui rendre ce qu’il m’a fait souffrir... je veux le souffleter, l’insulter, et puis l’étriper de mes mains ! Patience !"

Et pendant qu’il ruminait pour sa haine une effroyable satisfaction, Rinaldo souriait de plus en plus : il se frappait le front, il bredouillait avec volubilité :

"Per bacco ! vous avez mille fois raison ! Diantre soit de moi, qui suis tout de premier mouvement ! Povero ! Incapable de modérer sympathie ou colère ! Va, manant, va, je te fais grâce, mais ne recommence pas.

― Comment t'appelles-tu ? fit le chevalier en s’approchant du pauvre diable qui respira coup sur coup comme pour s’assurer que cette fonction vitale s’accomplissait.

― Ouf ! répondit l'homme.

― Comment, ouf ? C'est là ton nom ?

― Oui, fit l'homme en coulant un regard vers Rinaldo qui l'écoutait ; c’est-à-dire, non, enfin, je m’appelle Laguigne, à votre service.