descendit, ouvrit et tressaillit : c’était Léonora Galigaï ! Selon son habitude, il offrit un fauteuil à sa visiteuse et attendit qu’elle lui adressât la parole. D’un rapide coup d’œil, il étudia la physionomie de Léonora et trouva que depuis sa dernière visite, elle avait étrangement changé.
C’était bien toujours la même pâleur morbide où étincelait seul l’éclat des yeux noirs ; mais ses traits tirés, amaigris, le pli qui creusait son front d’ivoire, le sourire d’amertume qui crispait ses lèvres accentuaient ce qu’il y avait de mystérieusement redoutable dans ce masque.
"Que vient-elle me demander ? songeait Lorenzo. Comment vais-je l’influencer assez pour obtenir la liberté de Giselle et du chevalier ?
— Lorenzo, dit à ce moment Léonora, un grand malheur m’a frappée : Giselle d’Angoulême et ce misérable aventurier que je tenais dans ma main m’ont échappé."
Le nain se mordit les lèvres jusqu’au sang, ses ongles s’enfoncèrent dans les paumes de ses mains - mais pas un tressaillement ne lui échappa.
"Libres ! Libres ! rugit-il en lui-même avec une joie puissante. Est-ce que la main de la fatalité va cesser de s’appesantir sur moi ? Est-ce que je vais connaître le bonheur de la joie comme j’ai connu les affres de la haine ?"
Mais son visage immobile n’exprima même pas de l’étonnement. Léonora, qui l’examinait avec attention, hocha la tête.
"Cela ne te surprend donc pas ? dit-elle.
— Non, répondit Lorenzo, je savais que Giselle et Capestang devaient vous échapper."
Le regard noir de Léonora lança des éclairs. Sa main, un instant, alla chercher le manche d’un poignard qu’elle portait toujours à sa ceinture. Lorenzo demeura impassible.
"Comment le savais-tu donc ? gronda Léonora. Et si tu le savais comment ne m’as-tu pas prévenue ?
— Je ne savais rien de précis, madame. Je ne savais qu’une chose, c’est que, dans l’état d’esprit où vous vous trouviez, vous alliez commettre des imprudences ; je vous voyais prête à ruser avec les ordres supérieurs, et je pouvais en conclure que vos prisonniers vous échapperaient : on ne ruse pas avec Dieu, madame !"
Léonora blêmit. Elle s’inclina, s’écroula presque devant ce nain qui venait de lui parler avec une sorte de majesté solennelle et glaciale. Un ineffable étonnement emplissait son esprit devant cette nouvelle preuve de la science de Lorenzo.
"C’est vrai ! murmura-t-elle ; j’ai voulu ruser. Lorenzo, mon bon Lorenzo, d’où te vient cette prodigieuse science de divination ? Moi si forte, si orgueilleuse, je m’humilie devant cette science, oui mon maître ! Car, écoute : j’ai voulu tromper les destins ; tu m’avais dit que seul un roi pouvait