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et chacun sait que c’est pour moi la gangrène assurée, sinon quelque chose de pis encore ! Sauvez-moi, mon brave Lorenzo !

— Calmez-vous, dame. Dites-moi votre nom de baptême ?

— Jehanne ! Ne connaissez-vous donc pas Jehanne la tripière de la rue Calandre ?

— Jehanne, bon !" fit Lorenzo.

Et il sortit de son tiroir une feuille de verveine choisie parmi une foule de feuilles pareilles qui toutes portaient un nom écrit en rouge : Marie, Huberte, Anne, Gérarde, Loïse, Nicolette - tous les noms du calendrier.

"Voici, dit-il, une feuille de verveine cueillie à l’époque où le soleil parcourt le signe du Lion. J’y ai écrit le nom de Jehanne avec le sang d’un corbeau. Portez ce talisman sur vous, et vous serez à l’abri de tout maléfice. En qualité de voisine, vous payerez seulement un écu."

La commère se hâta de donner l’écu demandé, saisit avec respect la feuille de verveine, la plaça dans son vaste corsage, et sortit au moment où les huées se faisaient plus violentes en disant :

"Voici la folle ! Je ne la crains plus, maintenant !"

Le nain eut un imperceptible haussement d’épaules et s’avança sur le seuil de sa boutique. Une femme étrangement vêtue d’habits magnifiques, des flots de cheveux blancs épandus sur les épaules, mais le visage admirable de jeunesse et de beauté, s’avançait les mains jointes, les yeux baissés, dans une attitude d’inexprimable dignité. Voyait-elle, entendait-elle les gamins qui la suivaient par bandes ? Non, sans doute, car elle marchait du même pas lent et fatidique, sans se retourner, sans regarder à droite ou à gauche, sans même lever les yeux, insensible, douloureuse. Lorenzo la vit venir en frissonnant.

À mesure qu’elle avançait, il se reculait dans l’intérieur de la boutique, et ce fut seulement lorsqu’elle eut passé devant la porte qu’il se redressa livide, et alors, il balbutia :

"La duchesse d’Angoulême ! Mon remords qui passe !"


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Lorenzo ferma rapidement la porte de sa boutique et se mit, de loin, à suivre la folle. D’où venait-elle ? Où allait-elle ? Violetta, ayant franchi le pont, tourna à droite sur cette série de quais qui constituaient, à cet endroit de la Seine, les ports au charbon, au bois, au blé, et à l’avoine.

La troupe des gamins impitoyables suivait toujours. Parfois, une femme faisait le signe de croix. Une autre s’approchait et touchait furtivement la robe pour s’assurer une provision de bonheur - inversement à la croyance de dame Jehanne qui s’était crue menacée de la gangrène pour avoir effleuré la même robe. Nul ne s’inquiétait de savoir où allait la pauvre femme, car chacun savait que les fous ont un guide invisible qui leur parle et auquel ils répondent. La bande