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tour de bras, ils avaient beau hurler et jurer, on n’entendait aucune plainte sortir du sac ! Et cela se comprend, puisque les trois acteurs frappaient toujours à côté et que, par conséquent, Laffemas ne recevait rien.

"Ah çà ! Cogolin ! grondait tout bas Turlupin, veux-tu crier où je tape pour de bon !

— Il n’y a personne dans le sac ! criait le public.

— Nous sommes volés ! Rendez-nous nos sols et deniers !

— Vous n’y entendez rien ! vociféra tout à coup Cogolin en bondissant sur la scène, armé d’une vraie matraque. Laissez-moi faire ! Ah ! misérable Géronte ! Ah ! cocu du diable ! Tiens, pendard ! Tiens, maraud !"

La matraque se levait et s’abaissait en cadence sur le sac. Et, cette fois, ce furent de véritables hurlements de douleur qui en sortirent. Les spectateurs croyant à un épisode inédit, battirent des mains, trépignèrent des pieds ; pour un peu, ils eussent escaladé les tréteaux pour aider Cogolin.

"Grâce ! Pardon ! À moi ! Au meurtre ! rugissait Laffemas qui jouait son rôle en toute conscience, comme on peut le croire, et si bien que jamais on n’avait entendu geindre avec tant de naturel.

— Ah ! coquin ! Ah ! bélître ! glapissait Cogolin en continuant de frapper à tour de bras. Ah ! À mon tour ! Ah ! souviens-toi de la rossée que tu m’infligeas chez Lureau ! Ah ! miséricorde ! Ah ! pendard ! Tireur de laine ! Ah ! c’est toi qui as voulu faire griller mon maître ! Ah ! misérable !"

Les cris perçants de Laffemas, bientôt, ne furent plus qu’une suite de grognements indistincts ; puis on n’entendit plus rien. Et le public, la farce étant terminée, commença à s’écouler, tout secoué de rires épileptiques. Cependant, les trois acteurs avaient traîné le sac hors des tréteaux ; ils ouvrirent alors et délivrèrent l’infortuné Laffemas, tout contus, les reins moulus, le visage couvert d’ecchymoses, livide, à demi mort. Cogolin se planta fièrement sur ses longues jambes, comme il avait vu faire au chevalier son maître. La première pensée de Laffemas fut de tirer son poignard et de se ruer sur lui ; mais une main s’abattit rudement sur son épaule.

"Doucement, que diable !" ricana la voix goguenarde de Rinaldo.


En un clin d’œil, l’espion de Richelieu, ahuri, hébété de désespoir et de terreur, fou de rage, fut entraîné par les sbires de Rinaldo qui durent le soutenir, le porter presque, car il était moulu et se tenait à peine sur ses jambes.

Une heure plus tard, Laffemas était à la Bastille.


Notes :