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frisson qu’on éprouve à revoir un spectacle émouvant qu’on n’a pas vu depuis des années.

"Tiens ! fit-il, le soleil !"

Ce fut sa première parole, et sa première impression. Cette double coulée de soleil il la contempla longtemps sans se demander où il se trouvait et comment il était venu là.

"La joyeuse matinée ! songea le chevalier. Corbacque, la belle chevauchée que je vais demander à mon brave Fend-l’Air ! Voilà qui dissipera cette pesanteur que je me sens à la tête. Que diable ai-je bu hier ?"

Il souleva la tête ; mais elle retomba aussitôt comme si elle eût été attachée à l’oreiller. Alors il demeura immobile, les yeux agrandis, fixés sur les images qui s’évoquaient tour à tour, pareilles à des lointaines visions évanouies aussitôt qu’apparues. Il revoyait la bataille du Grand-Henri dessinée en vigoureux relief ; puis la prison où il s’était trouvé presque mourant de soif, mourant de ses blessures, et cela aussi se présentait avec une certaine netteté ; puis l’apparition de la dame inconnue qui l’avait emmené, soigné, guéri ; et déjà, les détails s’estompaient ; puis son séjour dans une chambre souterraine, sous la surveillance du Nubien ; puis enfin... là, les images évoquées devenaient confuses. Des ténèbres s’accumulaient dans ce coin de sa mémoire. Le puits, la planche de fer, la vis titanesque, cet effroyable agencement de choses de fer qui grouillaient, oui, cela revivait, mais comme un rêve, un affreux rêve dont l’imagination cherche à reconstituer les péripéties…

"Quel abominable cauchemar ! se dit le chevalier. Ah çà, mais je suis donc sorti de la chambre souterraine ? Et la dame qui me soigna, qu’est-elle devenue ? Est-ce un rêve, elle aussi ? Et ce démon noir ?... Ho ! qui sont ces deux-là ?"

À ce moment, en effet, deux hommes entraient dans la chambre ; ils se dirigèrent vers son lit. L’un était vêtu d’une robe noire. L’autre était vêtu de blanc et tenait son bonnet blanc à la main. Le premier était grand, mince, maigre, pâle, et portait des lunettes sur le nez. Le second était gros, court, et de face flamboyante. À eux deux, ils formaient une apparition fantastique.

"Qui êtes-vous ? grogna le chevalier. Où suis-je ? Qui m’a conduit ici ?

— Chut ! fit l’homme en noir en lui prenant une main.

— Silence ! fit l’homme blanc en roulant vers la porte des regards effrayés.

— Or çà, mes maîtres, suis-je dans une maison de fous ? cria Capestang. Suis-je fou moi-même ? Qui êtes-vous, vous la face de carême ? Et vous, trogne enluminée, qu’êtes-vous ?"

Ces exclamations furent suivies d’une bordée de jurons. Il continua en jetant des regards furieux sur l’homme noir.