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tout en courant. Voilà donc le dîner qui m’attendait chez lui ! Mais, si je souhaite la peste à Lureau, que souhaiterai-je à ce sacripant, à ce Laffemas ! Comme il frappait ! Je lui souhaite une bonne fièvre qui l’emporte en deux jours… Non ! j’y perdrais. Je lui souhaite donc de vivre jusqu’à ce que nous puissions nous retrouver seul à seul, et alors !"

Cogolin acheva sa pensée par un moulinet des bras qui n’augurait rien de bon pour le dos de Laffemas. Tout en geignant, pestant et roulant force projets de vengeance, tout contrit de son aventure, plus affamé que jamais Cogolin avait gagné la Seine et, descendu sur le bord de l’eau, il se débarrassa tant bien que mal de l’onguent catachrèsique dont il avait été frotté. Ce soir-là, le pauvre diable dut se contenter d’un croûton de pain qu’il gagna en tournant la broche pendant deux heures dans une rôtisserie.

Quatre jours s’écoulèrent, pendant lesquels la guigne acharnée lui tint fidèle et sinistre compagnie. Le quatrième jour, au soir, Cogolin s’installa sur le Pont-Neuf et essaya de tirer le manteau du premier bourgeois qu’il vit passer. Mais ce fut le bourgeois qui le roua de coups et finalement lui enleva son propre manteau, si peu qu’il valût : Cogolin était tombé sur un voleur. Le cinquième jour, au matin, Cogolin, en sortant de l’ex-auberge du Grand-Henri, où il couchait dans une caisse remplie de foin, se frappa le front, ce qui signifie généralement qu’on a ou qu’on croit avoir une bonne idée.

Cette idée consistait à aller trouver Lanterne, le valet de Cinq-Mars.

"Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? se dit Cogolin en tressaillant de joie. En l’appelant M. de Lanterne, j’aurai à dîner. Si je l’appelle monseigneur, il me donnera une pistole, peut-être. La vanité de l’homme est insondable, disait mon ancien maître le régent."

Cogolin raisonnait en subtil personnage, comme le pourceau de La Fontaine. Il se hâta donc vers l’hôtel de Cinq-Mars où, ayant été introduit non sans peine, il se trouva enfin face à face avec Lanterne, plus majestueux et rubicond que jamais. Lanterne se bottait et endossait un habit de voyage, aidé par un des petits ardélions de l’hôtel.

"Ah ! monsieur de Lanterne, fit Cogolin d’une voix tremblante, vous partez donc ?

— Mon Dieu oui, monsieur de Cogolin, dit Lanterne. Une minute plus tard, je n’eusse pas eu l’honneur de votre visite."

Cogolin eut un douloureux tressaillement.

"Pourquoi m’appelle-t-il M. de Cogolin ? songea-t-il avec angoisse. Est-ce qu’il espère que je vais l’inviter à dîner ? (Tiens, c’est une idée ! C’est lui qui paiera, voilà tout.) Ah ! monsieur de Lanterne, vous me voyez tout heureux d’être arrivé à temps pour vous rendre le dîner que vous me fîtes l’honneur de m’offrir à la Sarcelle-d’Or. J’espère que vous ne me ferez