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Giselle d’Angoulême ? Marion ! Ah ! Marion ! Si tu pouvais regarder dans ton cœur, tu n’y trouverais plus rien qu’un sentiment qui chasse tous les autres ou plutôt les couvre, et c’est la jalousie.

Cependant Giselle s’était avancée vers elle et lui avait pris la main :

"Êtes-vous une prisonnière comme moi ? murmura-t-elle. Êtes-vous comme moi une victime de la haine et de l’envie ? N’ayez pas peur ; à deux, nous serons plus fortes."

Marion tressaillit. Elle baissa la tête, et sourdement :

"Vous êtes Giselle d’Angoulême ?

— Je suis la fille de M. le duc d’Angoulême, dit Giselle doucement. L’ambition est une triste chose : le père et la fille sont séparés. Moi ici ! Et mon père dans quelque cachot, sans doute, attendant qu’on instruise son procès. Et ma mère..."

La voix de Giselle trembla. Ses yeux se gonflèrent. Son visage devint plus pâle. Marion frissonna.

"Vous avez madame votre mère ?

— Pauvre femme ! Seule, abreuvée d’amertume, poussée par les chagrins jusqu’à la démence, que peut-elle devenir sans moi ? Que lui a-t-on fait, à elle ? Si seulement je pouvais mourir pour elle."

Marion grelottait. Cette douleur filiale, si digne dans son expression, la bouleversait.

"Ne soyez pas ainsi troublée, reprit Giselle. Je suis forte. Je vous défendrai comme je suis décidée à me défendre moi-même..."

Marion, tout à coup, releva la tête, une flamme de générosité dans les yeux, mais sur les lèvres un étrange sourire, comme une concession à la perversité. Et elle songea :

"Je puis bien la sauver sans la réunir au chevalier !"

"Je ne suis pas prisonnière, reprit-elle tout haut. Vous reverrez madame votre mère : je suis venue pour vous faire sortir d’ici. Ne parlez pas, ne vous écriez pas. Qui je suis ? Inutile que vous le sachiez. Mon nom n’est rien, et ma personne bien peu de chose. (Un éclat de rire nerveux.) Voici la porte. Tournez à droite. Il y a un escalier. Montez-le. Vous arrivez dans une cave encombrée de bois. Encore un escalier, et vous êtes dans une petite cour. À gauche, dans la cour, un grand mur, une petite porte. Vous la franchissez, et vous voilà dans la cour d’honneur de l’hôtel, pleine de gardes, de valets chamarrés. Grâce à ce manteau et à ce masque, nul ne vous remarquera, car il y a là-haut grande fête des vivants. Ici, c’était la fête de la mort. Allez, mais allez donc mademoiselle, une hésitation nous perd toutes deux. Adieu !"

Tout en parlant avec une volubilité de fièvre, Marion, avec la prompte dextérité d’une femme de chambre accomplie, enveloppait Giselle de son propre manteau de soie bleue, lui attachait son masque sur le visage, lui rabattait le capuchon