Et il respira avec frénésie ! Et soudain il comprit qu’en lui l’horreur se surajoutait à l’horreur : non ! On ne l’empoisonnait pas ! On cherchait seulement à dissiper cette torpeur artificielle qui l’empêchait de bien comprendre sa situation ! Il fallait qu’il comprît tout ! tout ! tout quoi ? Et il sentit son intelligence redevenir lucide, ses membres reprendre toute leur souplesse et toute leur vigueur, sa langue se délier.
Capestang, alors, comprit la vérité. Il crut comprendre. Il s’affirma qu’il comprenait : on l’avait attaché là pour le faire mourir de faim et de soif, comme il avait entendu dire que cela se pratiquait encore au fond de certaines oubliettes. Alors, l’horreur disparut. Du moment qu’il fut maître de toute sa pensée, du moment qu’il se trouva en présence de quelque chose de positif, si affreux que fût le supplice entrevu, il cessa d’avoir peur. Et ce fut d’une voix presque calme qu’il apostropha Belphégor :
"Chien maudit, espères-tu donc voir trembler un Capestang devant la mort ? Allons donc, démon ! Regarde, va ! installe-toi devant moi ! Regarde, étudie mon agonie, si longue qu’elle doive être. Et va ensuite rapporter à l’abominable vampire qu’est ta maîtresse, que le chevalier de Trémazenc de Capestang est mort comme il a vécu, sans peur."
Belphégor le regarda un instant, et murmura :
"Bien."
Le même mot que lorsqu’il était venu s’assurer de l’artificielle docilité obtenue chez le prisonnier. Puis il sortit. Ce départ du Nubien fut un coup de foudre pour Capestang qui commença à entrevoir que peut-être il n’avait pas tout compris. Il bégaya :
"Bien ! Quoi, bien ? Il s’en va ? Il ne va donc pas assister à agonie ? Je ne vais donc pas mourir ici ?"
Quelques minutes se passèrent, bien courtes sans doute, mais suffisant pour qu’il pût mesurer ce qu’il y avait d’horreur présente et d’horreur encore inconnue en cette aventure : pris par des ennemis qui l’eussent infailliblement condamné à mort, il leur est arraché par une femme couvert de blessures, il est soigné par cette même femme jusqu’à guérison complète ; et alors, cette même femme le fait prendre et attacher, enchaîner à ce formidable engin dont il est impossible de soupçonner la destination... Qui est cette femme ? Mystère. Pourquoi l’avoir sauvé, guéri ? Mystère. Pourquoi le fait-elle attacher à la planchette ? Mystère. Que lui veut-elle ? Mystère. Veut-elle le tuer ? Mystère. Et si elle veut le tuer, quelle mort veut-elle lui infliger ? Mystère. C’était cette effroyable accumulation de mystère qui donnait à son aventure un caractère d’horreur. Et comme il songeait ainsi, tout à coup, il se rappela la deuxième partie de l’ordre infernal :
"Tu l’attacheras à la planchette... et tu le feras descendre."