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cas ! Tiens au fait, pourquoi ne m’ont-ils pas achevé, tandis qu’ils me tenaient ?"

Cette dernière idée le fit tressaillir et jeter autour de lui un regard soupçonneux et inquisiteur : il cherchait la cruche, le pot, le récipient quelconque rempli d’eau que dans tout cachot, dans toute cellule, le geôlier, pour féroce qu’il soit, ne manque pas de placer près du prisonnier. La salle où il se trouvait ne recevait qu’un peu de jour par une imposte munie de barreaux, mais enfin ce jour était suffisant pour lui permettre de découvrir promptement la cruche en question. Or, il n’en vit aucune ! La cellule, la prison, le cachot quelconque où il se trouvait était dégarni de toute espèce de meuble ou d’ustensile : il y avait les quatre murs, et c’est tout. Hormis le lit de sangle, pas une planche, pas une table, pas un escabeau. Rien. Capestang sentit sur sa nuque un frisson qui cette fois ne venait pas de la fièvre.

"Oh ! murmura-t-il. Je ne suis pas dans une prison ordinaire, il me semble ! Mais alors, où suis-je ? Où m’ont-ils mis ! Et pourquoi ne m’ont-ils pas achevé quand ils me tenaient ! Et pourquoi n’y a-t-il pas d’eau dans cette salle ?"

La soif ardente, la fièvre, les brûlures qu’il éprouvait par tout le corps, cette faiblesse qui s’emparait de lui, toutes ces causes réunies lui ôtèrent la faculté de raisonner, et ce fut sans doute heureux pour lui, car cette affreuse vision de la mort par la soif commençait à se dessiner sur l’écran de son imagination. Le chevalier retomba dans une sorte d’atonie.

Ce fut un sommeil fiévreux, un de ces étranges sommeils que connaissent tous les blessés, où les forces du corps anéanti semblent se réfugier dans l’imagination décuplée, centuplée, où les visions se succèdent, s’enchevêtrent.

Bien entendu, tous ces rêves qui chevauchaient le cerveau du jeune homme évoluaient autour d’un pivot central : la soif. Carafes limpides, ruisseaux murmurants, nappes d’eau, pluies torrentielles, flacons, muids de vin, tous les liquides apparaissaient dans ces décors inventés par la fièvre, et ils étaient aussi insaisissables que l’eau pure qui fuyait les lèvres altérées de Tantale. Plus de dix fois, le pauvre chevalier aperçut des êtres qui lui apportaient à boire et se sauvaient en riant dès qu’il essayait de saisir la tasse ou le gobelet qu’ils lui présentaient. Concini, le roi, Laffemas, Condé, le duc d’Angoulême, et même Giselle, vinrent ainsi tour a tour exaspérer sa soif. Puis, ce fut une femme qu’il ne put reconnaître parce qu’elle était masquée. Elle s’approcha de lui, un gobelet à la main. Mais Capestang se méfiait.

"Attends, gueuse ! grommela-t-il. Tu vas payer pour les autres !"

Et il fit un si violent effort pour saisir le spectre qu’un grand cri de souffrance lui échappa et qu’il retomba tout pantelant sur sa couchette, désespéré. Mais, l’instant d’après