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celle qui m’a sauvé la vie, a été un soir jetée à la Seine. Vous le savez peut-être ?"

Léonora tressaillit.

"Peu importe ! fit-elle d’une voix rauque.

— Oui, peu importe. Mais voici ce qui importe : Elle fut sauvée. Sauvée par un homme qui ne la connaissait pas, ne l’ayant jamais vue. Sauvée donc par un homme qui ignorait comment s’appelait celle qu’il sauvait. Je puis même ajouter qu’il la sauva malgré lui, involontairement, qu’il ne fut qu’un instrument. Cet homme, c’est moi, madame !"

Léonora cette fois, laissa échapper une sourde imprécation et ses yeux agrandis par l’effroi se fixèrent sur Lorenzo qui, paisiblement, continua :

"Un autre soir, madame, j’entendis sous mes fenêtres un grand bruit d’épées entrechoquées, et je vis un homme attaqué par huit ou dix autres. Cet homme, je ne le connaissais pas. Je ne l’avais jamais vu. Cent fois j’avais assisté à des scènes pareilles sur le Pont-au-Change. Toujours, j’avais tranquillement refermé ma fenêtre. Cette fois, madame, sans savoir pourquoi, sans me demander quelle force inconnue me poussait, je descendis, je me ruai sur la porte que j’entrouvris au moment où l’homme allait succomber. Il entra. Il fut sauvé. Deux minutes plus tard, je sus son nom par ceux-là même qui voulaient le tuer. Et ceux-là, madame, c’étaient les gens de monseigneur votre époux ! Et l’homme que je venais de sauver malgré moi, c’était celui qui est aimé de Giselle d’Angoulême... c’était le chevalier de Capestang !"

Un gémissement, cette fois, râla dans la gorge de Léonora. D’un geste lent et majestueux, le nain étendit les bras et posa sa main sur son astrolabe placé près de lui sur une table. Et il murmura :

"Fatalité, madame, ou providence, comme vous voudrez. Supérieure puissance qui règle les actions des hommes. Si jamais des doutes avaient pu me venir sur la vérité éternelle de la science des astres, comprenez-vous que ces doutes se seraient dissipés comme un de ces vains brouillards parfois cachent les objets de la nature à notre vue alors que pourtant ces objets n’en existent pas moins ? Car pourquoi est-ce moi et non un autre qui a sauvé cette jeune fille, puis sauvé celui qu’elle aimait ? Comprenez-vous, maintenant, dites, comprenez-vous pourquoi je me suis hâté de tirer l’horoscope de Giselle et du chevalier ?"

Léonora Galigaï ne répondit pas. Elle méditait. Oui, comme Lorenzo, plus que Lorenzo même, elle croyait aveuglément à cette fatalité qui conduit les êtres, les pousse où elle veut. Oui, elle croyait fermement que les lois immuables des destinées humaines sont inscrites sur la voûte céleste. Oui, elle savait qu’il est impossible de résister aux ordres super-terrestres. Mais quoi ! Où était alors le libre arbitre ? Et qui distinguait l’être