Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/313

Cette page n’a pas encore été corrigée

jeune homme et de cette jeune fille ; c’est pour cela d’abord, et ensuite..."

Lorenzo s’arrêta court. Une flamme jaillit de dessous ses sourcils embroussaillés. Puis il baissa la tête, et un soupir gonfla sa poitrine.

"Achevez, palpita Léonora Galigaï qui, à écouter cet homme étrange, se sentait prise d’un vertigineux intérêt.

— Y tenez-vous beaucoup, madame ? dit le nain d’un accent douteux où il y avait menace et pitié.

— Oui, sans doute, dit Léonora qui frissonna comme à l’approche de quelque catastrophe.

— Au fait, murmura Lorenzo comme se parlant à lui-même, pourquoi pas ?... Vous saurez donc, madame, que justement ce jour où je m’égarai dans une forêt, je venais d’Orléans. Je fuyais Orléans. J’avais la tête perdue, l’esprit plein d’angoisse, le cœur débordant de dégoût. Ce qui vous explique pourquoi je m’en rapportai à mon cheval du soin de me diriger, et comment, surpris par un ouragan de neige, il me fallut chercher un refuge dans une chaumine de bûcherons. Cela se passait comme je vous l’ai dit, il y a près de deux ans, c’est-à-dire au mois de janvier 1615. Maintenant, si vous voulez savoir pourquoi je fuyais Orléans et pourquoi mon âme était pleine de dégoût, à déborder, comme un vase trop plein de fiel, je vous dirai que je venais de commettre une infamie, non pas un crime, non pas un meurtre, une chose vile, vous dis-je, une lâcheté."

Lorenzo frissonna. Ses yeux agrandis semblèrent chercher dans le vague d’une lointaine rêverie les éléments du récit qu’il débitait d’une voix morne. Il continua :

"Cela vous étonne, peut-être, ce que je vous dis là, madame, je suis marchand d’herbes. Les unes donnent l’amour. D’autres donnent la mort. On vient m’acheter ceci ou cela. Je n’ai rien à y voir. Il m’est arrivé de tuer, moi-même, à mes risques et périls. C’est mon droit. Mais ce jour-là je fus vil, je fus infâme, et je dus me demander si j’avais le droit de haïr l’humanité comme je la hais, puisque je devenais plus méprisable encore qu’aucun de ceux que je méprise.

— Qu’aviez-vous donc fait ? demanda Léonora.

— Vous allez le savoir. L’Ecclésiaste a dit : « Confessez-vous les aux autres. » Et vous le voyez, je me confesse. Donc, en ce mois de janvier 1615, je m’étais rendu aux environs d’Orléans pour mettre la main sur un précieux talisman, un manuscrit perdu depuis longtemps, et qui donnait diverses formules que j’avais vainement cherchées, durant une partie ma vie d’études. On ne m’avait pas trompé : je trouvai le manuscrit, ce n’était rien moins qu’un chapitre inconnu du fameux traité De vulgo incognitis, écrit tout entier de la main de l’illustre Martius Galeotti. Outre des considérations sur l’astrologie judiciaire, j’y trouvai en effet des méthodes