votre maladie, monseigneur, les langues se délient, c’est vrai, mais, par toutes les tripes du Saint-Père, nous nous délions les bras, nous ! C’est à tel point qu’on a inventé pour nous un mot nouveau.
— Et quel est ce mot, mon brave Rinaldo ? fit Concini calmé.
— Peuh ! Ils nous appellent les Raffinés d’honneur. Le fait est que notre honneur est devenu raffiné et chatouilleux en diable, il lui faut son cadavre quotidien, sans quoi il se fâche.
— C’est bien, Rinaldo, c’est bien, mon ami. Passe donc demain matin chez le trésorier du roi avec un bon de deux cents pistoles que je te ferai remettre, et distribue-les à nos braves. Va, Rinaldo, va, je ne suis plus malade, et demain, je veux aller place Royale pour voir comment les choses s’y passent.
— Oh ! oh ! grommela Rinaldo en se retirant, il va y avoir de la besogne pour les Raffinés d’honneur ! Peste ! si monseigneur se montre et que son honneur soit aussi raffiné que le nôtre, je plains la bonne ville de Paris. Deux cents pistoles ? Hum ! Cela me paraît d’une avarice un peu raffinée aussi !
— Envoie-moi M. Gendron !" dit Concini au valet.
M. Gendron était l’intendant général de l’hôtel d’Ancre. C’était un homme tout noir d’habits, tout blanc de cheveux, l’œil vif, très intelligent, très épris de belles fêtes et de mises en scène grandioses.
"Monsieur Gendron, lui dit Concini, je compte donner bientôt fête."
L’intendant se courba en deux comme si on lui eût fait une faveur personnelle.
"Je veux que ce soit beau, entendez-vous, monsieur Gendron. Je veux que Paris en crève de jalousie, comprenez-vous ? Je veux qu’on sorte de chez moi enivré, ébloui, avec le souvenir d’un faste féerique, saisissez-vous bien ?"
L’œil de Gendron étincela. Il se redressa et dit :
"Monseigneur, il en sera parlé. J’ose vous assurer que Paris ne dormira pas de quinze jours.
— Bien. Passez la nuit à me faire un plan détaillé de cette fête, donnez-moi ce plan demain matin. Maintenant, dites-moi, combien vous faut-il d’argent pour cette féerie ?
— À la dernière, monseigneur, nous dépensâmes soixante mille livres Je crois qu’avec cent mille...
— Très bien. Et combien de jours vous faut-il pour tout préparer ?
— Un mois, monseigneur, ce ne sera pas de trop.
— Je veux cette fête dans trois jours, dit Concini. (Gendron, habitué à réaliser l’impossible, ne sourcilla pas.) Je la veux dans trois jours. Et puisque vous serez forcé de perdre