t’abandonne, le roi jettera le masque, et la meute de tes ennemis se ruera sur toi. Tu es un homme mort. Ne peux-tu dissimuler quelques jours encore ? Écoute ceci : tu as fait édifier vingt potences dans Paris pour y pendre quiconque s’aviserait de parler de toi en mal. Tous les jours, on y pend quelqu’un. C’est bien. Les potences florentines, comme on les appelle, ont muselé Paris. Mais sais-tu ce que j’ai vu, hier, à l’une de ces potences, pas loin d’ici, à celle que tu as fait placer à la Croix-Rouge ? J’ai vu pendue l’effigie de Concino Concini, avec cette pancarte au cou :
Son corps à la voirie, son âme à Léviathan."
Un frisson de terreur se glissa le long de l’échine de Concini.
"Je commence à t’intéresser, dis, mon Concino ? continua Léonora avec ce calme terrible du belluaire qui veut dompter un fauve. Oui, Paris est las de nous. Oui, sous ces fenêtres, parfois, j’entends des cris de mort et il me semble alors que je respire une atmosphère empestée de haine. Il me semble que je vois s’ouvrir devant nous l’abîme où nous allons rouler tous deux ! Que Maria se lasse à son tour ! Qu’elle ôte sa main protectrice de dessus nos têtes, et tout est fini ! C’est la cour qui nous déchire, c’est le peuple qui nous meurtrit. C’est peut-être l’échafaud qui se dresse pour toi, pour moi !" ajouta Léonora en frissonnant à son tour, ses yeux noirs perdus vers les coins obscurs de la chambre, comme si elle eût évoqué quelque sanglante vision.
Concini claquait des dents. La peur, tout à coup, entrait dans son cerveau par toutes les portes qu’y ouvrait Léonora. La peur le mordait au cœur. Il ne cherchait pas à la cacher. Il oubliait jusqu’à Capestang, jusqu'à Giselle. Il ferma un instant les yeux et alors il vit cette potence dont Léonora venait de parler. Il la vit non pas avec une effigie, mais avec son corps. Il vit le peuple furieux traîner ce corps comme il avait traîné celle de Coligny jusqu’au gibet de Montfaucon.
"Nous ne pouvons même plus fuir ! reprit Léonora comme si elle eût deviné la pensée secrète qui se faisait jour dans l’esprit du maréchal. Il est trop tard, Concino, nous avons commencé à gravir les échelons qui conduisent au pouvoir : il nous faut ou tomber ou monter jusqu’en haut. Si nous tombons, nous nous brisons les reins ; si nous montons, nous dominons pour toujours ce peuple qui hurle à nos pieds et montre les crocs avec lesquels il espère nous déchirer.
— Monter ! Monter ! murmura sourdement Concini dans une sorte de grondement de peur, de rage et d’ambition. Mais comment monter ? Est-ce que ce Léviathan même qui doit emporter mon âme ne semble pas protéger le petit Louis !
— Oui ! dit Léonora avec cette froideur obstinée, sinistre qu’ont les hallucinés, une première fois, le cheval emporté a été arrêté ! Une deuxième fois, le poison a été renversé ! La troisième fois sera la bonne, Concino ! Cette fois-ci, mes précautions