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Le jour même où ces événements se passaient rue Saint-Martin, Léonora Galigaï était assise dans sa chambre vers huit heures du soir, devant son mari. Une petite table en bois des îles tout incrustée d’argent les séparait et supportait un flambeau qui seul éclairait cette vaste pièce. L’opulente chambre était ainsi noyée d’ombre ; les deux visages de Concino et de Léonora, seuls, vivement éclairés par le flambeau, surgissaient en relief du fond de ces ténèbres, comme on voit sur certaines toiles de Rembrandt. Et ces deux têtes pâles, comme pétrifiées par l’intensité d’attention, étaient pareilles à ces figures de marbre entrevues sur un tombeau dans le fond d’une crypte.

Ils étaient donc l’un devant l’autre, accoudés à la petite table, immobiles, insensibles en apparence, et ne vivant que par leurs regards croisés. Les yeux de Concino Concini exprimaient la haine portée à son paroxysme, ceux de Léonora l’amour porté jusqu’à l’exaltation. Concino ne voyait pas cette irradiation de tendresse éperdue que dégageait la physionomie de sa femme ; et Léonora ne voyait pas cette effluence de mort que dégageait la physionomie de son mari. Concino songeait à tuer Léonora. Et elle songeait qu’elle aimait encore mieux le tuer plutôt que de ne pas avoir son amour.

Voici ce qu’ils disaient :

"Vous avez voulu me parler, Léonora. Depuis trois jours je résiste à votre appel. Depuis un mois, je me suis arrangé pour ne pas vous voir. C’est que je n’étais pas sûr de ne pas vous étrangler dès que je serais devant vous. Ce soir, je crois que je suis un peu plus maître de moi ; pourtant, je suis venu sans armes. Tenez, Léonora, si j’avais mon poignard à ma ceinture, je crois que je vous tuerais."

Léonora hochait tristement la tête ; une effroyable amertume gonflait son cœur. En écoutant ces paroles prononcées par le seul être qu’elle aimait au monde, elle en arrivait à souhaiter l’exécution de ces menaces. Elle refoula un sanglot.

"Vous êtes-vous demandé, Léonora, ce que sont devenus les deux hommes que vous avez envoyés rue des Barrés la nuit où j’ai arrêté le duc d’Angoulême, et où je devais m’emparer... d’elle ! ajouta-t-il avec soupir atroce. Les deux gaillards vous ont bien servie, Léonora ! Mais où sont-