aussi ! quoi qu’il m’en puisse coûter, je l’avoue, je le proclame : ce n’est pas moi qui ai retrouvé ce secret ! (Attendrissement général devant cette preuve de modestie et de sincérité.) Celui qui a retrouvé ce secret, messieurs, ce dont je bénis chaque jour le nom que je vais révéler (Cogolin dresse ses oreilles), celui enfin à qui l’humanité souffrante est redevable de ce miraculeuse découverte, c’est un illustre savant, un noble vieillard qui a fait trois fois le tour du monde, c’est le grand, le saint, le glorieux M. Cogolin ! (Lureau se découvre, long murmure dans la foule ; Cogolin demeure pétrifié, bouche béante, écrasé de stupeur.) Ce secret, continua Lureau en arrêtant d’un geste la musique enragée, ce secret, je l’ai donc acheté deniers comptants à l’illustre Cogolin ; j’y ai engagé toute ma fortune ; s’il était là, il pourrait vous le dire. (Heu, murmure Cogolin, tout sa fortune !) Je l’ai payé cinquante mille écus ! (Rumeur d’admiration.) Mais, me direz-vous encore, toi qui parles, puisque tu as payé cinquante mille écus le secret de Cogolin et de la Catachrèsis, tu sais bien que nous ne sommes pas assez riches pour acheter de cet onguent, qui doit être terriblement cher !
« Oui, messieurs, il est terriblement cher, l’onguent ! Mais rassurez-vous. En conséquence d’un vœu que je fis le jour où les cheveux me repoussèrent sur la tête, je ne vends pas l’onguent de Catachrèsis, je le donne ! (Applaudissements et bravos enthousiastes.) Je le donne ! Chacun peut en prendre autant qu’il en veut ! L’onguent ne coûte rien ! Pas un denier ! Pas un ducaton ! Pas une maille ! Pour ne pas me ruiner complètement, je fais seulement payer le pot qui le contient ! Une livre, une simple livre ! Qui n’a pas une livre pour acheter un pot enveloppé de la prière qu’il faut réciter, portant inscrits en lettres d’or les trois mots magiques, les trois talismans : Parallaxis ! Asclépios ! Catachrèsis ! Entrez ! Entrez dans la boutique de l’illustre Catachrèsis ! C’est pour rien ! Pour rien ! Entrez ! Musique ! »
Flûtes, violes et tambourin attaquèrent aussitôt une marche guerrière, tandis que dix, vingt, cinquante badauds se précipitaient dans la boutique où Mme Lureau débitait les fameux pots d’onguent. Cogolin abasourdi de ce qu’il venait d’entendre, émerveillé de ce qu’il voyait, Cogolin ahuri, pas bien sûr de ne pas être un illustre savant, Cogolin l’esprit ballotté par la stupeur, l’admiration, l’espoir de trouver tout au moins un bon dîner, Cogolin fendant la foule s’avança, radieux, la bouche en cœur, vers Lureau.
Lureau l’aperçut soudain ! Et Lureau pâlit ! Lureau fut saisi de terreur et de fureur ! Lureau gronda entre les dents :
"Ah ! tu viens me dénoncer, toi ! Ah ! tu veux m’empêcher de faire fortune, toi ! Attends ! Je vais te montrer de quel bois je me chauffe !"
Notes :